Affaire Djabelkhir ou le procès de la démocratie

Atalayar_Djabelkhir Argelia

Que valent les libertés de conscience et de recherche en Algérie ? Pour prendre la mesure de ces droits fondamentaux, il faut se rendre, malheureusement, dans les tribunaux.

S’il est un procès emblématique de la situation que traverse le pays aujourd’hui, c’est probablement celui intenté à l’islamologue Saïd Djabelkhir. Le chercheur connu et reconnu pour ses nombreuses publications académiques et ses livres sur l’Islam et le soufisme est accusé d’ « offense aux percepts de l’Islam ». La loi algérienne punit de 3 à 5 ans d'emprisonnement et/ou d'une amende « quiconque offense le prophète ou dénigre le dogme ou les préceptes de l'islam, que ce soit par voie d'écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen ». Mais qui peut offenser la religion et comment ? C’est à cette réponse que doit répondre ce procès inquisitoire.

Pour l’heure, c’est un enseignant en sécurité électronique qui poursuit en justice le spécialiste de la Charia. Cherchez l’erreur ! 

Et si la situation paraît incongrue, c’est qu’elle l’est.

Le débat d’idées est d’habitude porté par les universités, conduit dans les salles de conférences, discuté dans les médias…mais cette fois-ci c’est devant un tribunal et que la pensée est jugée et interdite.

Que peut la loi face à la recherche ? Et d’ailleurs, pourquoi opposer l’un à l’autre ? Inventer des antagonismes et se créer des ennemis semble être la stratégie accusatoire. Le législateur est censé protéger la liberté de recherche non la réduire et on dit même que c’est inscrit dans la Constitution !

Les avocats du Docteur en philosophie et créateur de la plateforme de réflexion : Le Cercle des Lumières pour la Pensée Libre, ne trouvent pas de justification juridique à la tenue du procès.

Malheureusement se rendre au tribunal est devenu monnaie courante en Algérie. Tout le monde y passe : vieux, jeunes, hommes, femmes, acteurs associatifs, militants, journalistes…Le Tribunal de Sidi M’hamed ne désemplit plus et le nombre des procès ne cesse d’augmenter. Pour la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme c’est « La dérive de trop ». La LADDH a qualifié le procès de « Scandaleux » et a exprimé sa pleine solidarité avec l'islamologue. Elle réitère, par ailleurs, « sa demande de respect des libertés de recherche académique, d'expression et d'opinion, elle rappelle au gouvernement le respect de ses obligations contenues dans les conventions internationales ratifiées par l'Algérie dont le pacte international des droits civils et politiques (…) La LADDH dénonce la criminalisation des idées, du débat et de la recherche académique pourtant garanties par la Constitution ».

C’est dans les Maisons de Justice que l’on peut placer le curseur de la démocratie et que l’on interpelle ses fondamentaux. Et le procès de Djabelkhir nous dit à quel point notre démocratie est souffrante.

La semaine dernière le verdict est tombé : Saïd Djabelkhir est condamné à 3 ans de prison ferme.

Dans un entretien accordé à l'Agence France-Presse, l’islamologue persiste et signe : « Un très grand effort de réflexion nouvelle sur les textes fondateurs de l'islam est nécessaire car les lectures traditionnelles ne répondent plus aux attentes, besoins et questionnements de l'homme moderne ».

Saïd Djabelkhir était dans la ligne de mire des groupes radicaux qui n’ont cessé de l’attaquer sur les réseaux sociaux mais il s’est avéré plus résistant et plus convaincant que certains le pensaient.  Il a tenu bon devant les mouvements takfiristes (excommunicateurs) et n’a cessé de prévenir contre leurs dangers et les dérives de l’orthodoxie. « Il est inconcevable qu'un spécialiste de la Charia offense la religion musulmane », s’insurge-t-il.

Si lors de son procès d’appel, Djabelkhir est condamné, nous le serons tous. Cela signifie que le salafisme, le wahabisme et les lectures les plus fondamentalistes de la religion ont pris le dessus sur l’Islam des lumières.

Ce procès ne concerne pas seulement l’Algérie et les Algériens, il est celui de l’extrémisme et de son renforcement à travers le monde. Le radicalisme ne connaît pas de frontières, il est de toutes les géographies.

La liberté de parole, de réflexion, de critique sont des enjeux globaux et la pandémie mondiale vient nous le rappeler. Combien d’entre nous ne se sont pas sentis concernés par le recul des libertés de la presse en Chine. Si les lanceurs d’alerte avaient droit à la parole et les journalistes à l’information, la pandémie que nous vivons aurait probablement pu être évitée.

Tout comme les yeux du monde se sont tournés vers le procès de Georges Floyd aux Etats-Unis, il est essentiel, de suivre avec attention le procès de Saïd Dajbelkhir qui questionne, avant tout, notre sens de la justice et notre attachement à la liberté et au savoir.  
 

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