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Le discours du réalisme

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Il ne fait aucun doute que le discours est la manifestation la plus évidente de la pratique diplomatique, et en ce sens les organisations internationales font partie de ces appareils politico-administratifs habitués à produire une multitude de textes. La référence la plus directement associée à cette notion d'organisation internationale renvoie à la réalité institutionnelle du système des Nations unies, avec ses organes et ses nombreuses agences satellites. Ces textes, appartenant à la catégorie des discours institutionnels, constituent un type quasi idéal de discours politique fortement contraint par un rituel de production bien connu, et qu'il convient d'analyser en détail en tant que représentation du sens dans les relations internationales.
 
Dans le même contexte, et afin de mieux comprendre comment le Conseil de sécurité des Nations unies traite la question du Sahara marocain depuis le début de ce conflit artificiel, il est nécessaire de soumettre le discours de l'organe décisionnel le plus élevé et le plus important des Nations unies à une analyse sémantique lexicale, qui nous permet d'identifier les points de rupture qui se produisent dans la succession des nombreuses résolutions consacrées à ce conflit géopolitique.
 
Les éléments constitutifs du discours du Conseil de sécurité sur le conflit du Sahara n'ont peut-être pas été suffisamment analysés dans leur globalité ; il convient donc de les décrypter sous l'angle des stratégies discursives et de leur importance dans l'émergence et le changement des pratiques normatives dans la résolution pacifique des conflits.

Dans la longue série des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU sur la question du Sahara marocain, la résolution 2654 du 27 octobre 2022 constitue sans doute un nouveau tournant. Alors que le Conseil de sécurité se contente depuis des années de préserver le statu quo en renouvelant périodiquement le mandat de la MINURSO, il défend clairement dans sa dernière résolution le processus des tables rondes comme seule solution réaliste au conflit, ce qui signifie que l'Algérie, qui avait annoncé son refus d'y participer, est vivement invitée à s'inscrire dans la logique de cette solution politique.
 
En ce sens, "le processus politique" est une expression clé dans le texte de la résolution proposée par les Etats-Unis aux membres du Conseil de sécurité. En effet, tout en saluant la nomination de Staffan de Mistura, le nouvel envoyé personnel d'Antonio Guterres, la résolution appelle à "une reprise constructive du processus politique", en s'appuyant sur les progrès réalisés par son prédécesseur.
 
Le message est donc clair : alors que l'Algérie continue de jouer la carte du droit international et insiste sur la thèse de l'autodétermination, le Conseil de sécurité des Nations unies souligne la nécessité d'une "solution politique réaliste, pragmatique, durable et mutuellement acceptable". Dans ce contexte, il convient de noter que, comme les résolutions précédentes du Conseil de sécurité, il n'est pas fait mention d'un référendum d'autodétermination. Cette option a été définitivement enterrée par la communauté internationale, qui a fini par se rendre compte de l'inapplicabilité de ce mécanisme technique. Aujourd'hui, c'est l'esprit de réalisme, de compromis et de pragmatisme qui prévaut dans le langage du Conseil de sécurité de l'ONU, qui favorise la construction discursive de la "solution politique" confirmée par la nouvelle résolution 2654.

Il est tout à fait évident que la référence au réalisme dans cette résolution, comme dans les précédentes, est plutôt une sorte de perception implicite de l'initiative du Royaume du Maroc pour résoudre le conflit du Sahara, ce qui signifie que la seule solution possible et réaliste est sans aucun doute une véritable autonomie sous souveraineté marocaine, et que la création d'un nouvel État dans la région n'est pas du tout une option réaliste, ni pour résoudre le conflit ni pour maintenir la paix. 
 
Mais que dit exactement le discours diplomatique au nom du réalisme, quels sont les usages communicationnels de ce mot, et quels sont en particulier ses usages dans la rhétorique du Conseil de sécurité ?
 

Très brièvement, nous pouvons dire que dans le concept de réalisme politique (realpolitik), le politicien réaliste est perçu comme un acteur qui traite la réalité sociale telle qu'elle est et non telle qu'il voudrait qu'elle soit, qui travaille avec les pieds sur terre, qui sait que l'homme n'a pas d'ailes, qui se déplace dans le réel et non dans l'imaginaire.
 
De ce point de vue, la caractéristique essentielle d'une initiative réaliste en politique internationale est qu'elle prend toujours en compte la réalité, le possible, l'objectif et le concret, et par conséquent la proposition d'une solution politique à ce conflit artificiel que l'on peut qualifier de réaliste, est celle qui exprime la vision et la volonté d'un acteur politique qui a les pieds sur terre, qui est motivé par une obligation de résultats immédiats en termes de paix et de stabilité, qui déploie toute sa capacité à voir au-delà des apparences trompeuses et des idéologies de pacotille, qui s'efforce de mettre en lumière les véritables motivations des différents acteurs.
 
Le réalisme de la rhétorique du Conseil de sécurité est donc la solution à un problème qui n'a été soulevé et compliqué que par l'absence d'une analyse suffisante, mais aussi par l'effet des illusions qui trompent et dissimulent la réalité, comme c'est le cas de ceux qui se nourrissent de fantasmes et s'obstinent à continuer à rêver d'un retour aux thèses séparatistes largement illusoires. 

Lorsque le Conseil de sécurité qualifie l'initiative marocaine de réaliste, c'est parce qu'en réalité l'autonomie négociée a permis de résoudre, dans le plein respect du droit international, plusieurs situations conflictuelles dans le monde, dans le respect de l'intégrité territoriale des États et dans le respect des spécificités des régions concernées.
 
Réaffirmant le caractère sérieux et crédible de l'initiative marocaine, le Conseil de sécurité reconnaît la parfaite compatibilité de cette initiative avec la réalité, puisque la pratique internationale en matière d'autonomie est clairement soutenue par un large corpus de droit international qui confirme sa légalité juridique et son opportunité politique et réaliste en tant que solution de compromis, entre les options d'intégration et d'indépendance, En outre, la solution de l'autonomie est la forme la plus moderne et la plus démocratique d'autodétermination, permettant un accord de compromis gagnant-gagnant, préservant l'unité et la souveraineté des États, constitutionnalisant et institutionnalisant les droits des populations intéressées à se gérer démocratiquement, dans le plein respect de leurs droits humains et de leurs spécificités culturelles, linguistiques et langagières.
 
En conclusion, nous pouvons déduire que la rhétorique du réalisme dans le discours du Conseil de sécurité sur la question du Sahara marocain est structurée autour de représentations de sens qui illustrent la "solution politique" recherchée, et qui trouvent leur expression dans des demandes de pragmatisme, de sérieux, d'esprit constructif et consensuel. Ces demandes sont présentées sous forme de recommandations, mais elles sont devenues au fil du temps des éléments décisifs et irréversibles dans la recherche d'une solution politique réaliste à ce conflit artificiel sur le Sahara marocain.