Avis

Quel avenir à l’économie d’un régime défaillant ?

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Afin d’esquisser sa nouvelle politique économique, le président iranien Ibrahim Raisi a accueilli dix-sept économistes proches du régime. Ceux-ci ayant des opinions différentes de la situation économique dégradée du pays, ont divergé sur le plan d’action d’une relance économique. L’ancien conseiller économique de Rouhani, Massoud Nili, est pour une économie libre comme voie de salut économique. D’autres estimaient que cette voie ne ferait qu’empirer la situation. Bref, selon des extraits publiés de leurs discours, diverses visions et solutions ont été exprimées. Et vu le manque de savoir et d’expérience d’Ibrahim Raisi en matière financière, s’impose la question sur sa capacité à évaluer ces solutions, et à en choisir celle qui profite au mieux aux iraniens et les fait sortir de l’actuelle catastrophe économique.

Un journal pro-régime écrit : « La politique étrangère et sa force est la carte que le président élu doit utiliser pour faire sortir l’économie iranienne du vortex dans lequel elle est tombée. Cette économie ne pourrait atteindre ce niveau où les citoyens ne seront plus désavantagés à court terme qu’en 1404 et en atteignant au moins 50 milliards d’exportations en pétrole. » Selon ce journal, l’affectation de ces recettes en devises à la production alimentaire,  à l’achat de matières premières pour les usines et aux investissements dans les infrastructures est la solution indispensable pour éviter l’effondrement de l’économie et l’explosion sociale due à la pauvreté, à la faim et au manque d’électricité.

Ce journal a oublié que le régime iranien avait accès à150 milliards de dollars de réserves de change suite à l’accord nucléaire de 2015. Il a pu vendre jusqu’à 2,5 millions de barils de pétrole par jour avant que les États-Unis ne se retirent du JCPOA en 2018. Et malgré ce profit que le gouvernement a encaissé, la hausse de la pauvreté et du chômage ont conduit au soulèvement de la mi-novembre 2019 qui s’est propagé dans de nombreuses villes iraniennes. Seul le recours à la force par le régime, qui a causé le meurtre de plus de 1 500 manifestants, a empêché les manifestations de se propager davantage et de causer l’effondrement du régime.

La pauvreté, le chômage, la hausse générale des prix, la pénurie de l’eau et les coupures électriques ont pour cause la corruption généralisée et institutionnalisée, et non pas les sanctions tel que le régime iranien veut persuader le monde à travers ses lobbies en Europe et aux États-Unis.

Le détournement de fonds et la colossale corruption enracinés dans l’appareil du pouvoir iranien ont conduit à la prise de contrôle économique par les rivaux et les factions armées du gouvernement et mènent le régime vers son effondrement total. Les chiffres n'ont plus la capacité d'exprimer ces malversations astronomiques et ce niveau de corruption. Elles se répercutent sur le budget du pays et toutes ses infrastructures, y compris les écoles et les universités.

Pour illustrer ce chiffre monstre, un économiste proche du régime a introduit un nouvel indicateur de la corruption en Iran. « Imaginez une bande de 40 000 kilomètres (la longueur de la circonférence de la terre) de billets de 1 000 tomans attachée autour de la terre comme ceinture », a-t-il déclaré. Cette ceinture de nom "Banknote Belt Around the Earth" est abrégée en "KAD". La valeur totale de la corruption dans les privatisations durant les trois décennies suivant la guerre Iran-Irak est d’environ 1 440 KAD, soit une ceinture de billets de banque qui peut faire la circonférence du globe 1 440 fois. Et aujourd’hui, si on considère que la corruption administrative ne dépasse pas celle passée, le projet de loi sur la « participation publique et privée », approuvé discrètement par le parlement, crée une « capacité de corruption » de 1560 mille milliards de tomans. Ce chiffre est équivalent à 6 000 KAD, soit plus de quatre fois la corruption totale des 30 ans de privatisation d'après la guerre.

Contrairement au jeu d'accusation du régime iranien sur la pauvreté et les souffrances sans précédent causées par les sanctions américaines, c’est la structure corrompue qui a transformé un pays classé le deuxième en ressources en gaz et le quatrième en ressources pétrolières en un pays en développement dans lequel 80% des citoyens vivent en dessous du seuil de la pauvreté.

L'efficacité des sanctions est évaluée en fonction de la manière dont la capacité de production du pays est affectée. En Iran, la capacité de production a diminué à partir du neuvième gouvernement (bien avant le début des sanctions américaines). Par conséquent, le pays dépend fortement des importations qui sont passées de 16 milliards de dollars en 1984 à 90 milliards de dollars en 1990.

Parmi les facteurs de cette dépendance iranienne aux importations, la destruction de l'industrie manufacturière en Iran sous prétexte de la privatisation ainsi que l’important niveau de détournement de fonds. Les profits réalisés sur ces importations vont aux institutions qui contrôlent plus de la moitié de l'économie iranienne, parmi elles le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). Quelle que soit sa fortune, le CGRI tient à ces énormes bénéfices au dépend de ses concitoyens. En ce faisant, il détruit l’industrie iranienne et accentue la pauvreté et la misère du peuple iranien.

Et malgré que toutes les sanctions internationales contre l'Iran sont levées, et qu’il peut désormais exporter beaucoup plus que le budget annuel de 1400 (2021) prévoit, soit 2,3 millions de barils par jour, la corruption persiste. Ceci réaffirme que le tissu corrompu du système est la source de la paralysie économique et sociale et des conditions de vie indigne de plus de 60 millions d’iraniens.

Selon la Banque centrale, l’Iran a exporté 180 milliards de dollars de marchandises en 1997 et 1998. La réallocation de ces ressources reste cependant une lacune. Des études estiment que ces fonds auraient pu fournir des biens et des produits essentiels pendant trois ans.

Massoud Khansari, chef de la chambre du commerce de Téhéran, a déclaré qu'entre 2009 et 2011, environ 90 milliards de dollars avaient quitté le pays. Au cours des dix dernières années, 35% de la population du pays ont été poussés en dessous du seuil de pauvreté. En Iran, contrairement à tous les autres pays, le régime a d'abord acquis le pouvoir, et en a usé comme moyen de création de sa richesse.

Selon Amnesty International, Ibrahim Raisi a été impliqué dans le massacre de 30 000 prisonniers politiques en 1988. Son accession au présidentiel est le produit de sa prise du pouvoir par le régime. Au cours des 30 dernières années, il a occupé des postes importants dans le gouvernement. Son travail consiste à renforcer la machinerie oppressive du régime en réduisant au silence et en éliminant les gens ordinaires qui sont piégés dans la pauvreté, confrontés à une série de problèmes sociaux tels que les pénuries d'eau et les pannes d'électricité dans leur vie quotidienne. Raisi est l'un des fonctionnaires les plus fidèles à Khamenei. Il symbolise un gouvernement unifié et uni, tout en mettant en œuvre des mesures plus répressives pour contrôler, apprivoiser et détruire toute expression de colère et d'insatisfaction du peuple iranien. Et Tant que le régime de Téhéran continuera de réprimer le peuple iranien, le niveau de vie de ce dernier continuera à baisser. Avec Raisi devenant le président iranien, les gens devraient s'attendre à la détérioration de l'économie du pays et à une vie misérable.

Hamid Enayat est un expert de l'Iran et un écrivain basé à Paris, où il a fréquemment écrit sur les questions iraniennes et régionales au cours des trente dernières années.