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Une pandémie n'arrête pas la fraude et le blanchiment d'argent

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Les six trillions d'euros de fortunes privées cachées dans les paradis fiscaux représentent dix fois la somme de tous les plans et incitations adoptés par l'Union européenne pour lutter contre les effets catastrophiques de la pandémie. Il s'agit d'un montant énorme, qui se superpose ou chevauche les 1,37 trillions d'euros que les Nations unies chiffrent pour le blanchiment de l'argent illicite dans le monde. Ces données figurent dans le rapport annuel du Groupe de haut niveau des Nations unies sur la responsabilité, la transparence et l'intégrité financières internationales (FACTI), qui a été rendu public lors de l'Assemblée générale des Nations unies.

La conclusion ne laisse guère de place au doute : une fois de plus, il est clair que le système fiscal international, que ce soit par impuissance ou par manque de volonté politique, continue d'être un tamis à travers lequel s'échappent d'énormes sommes d'argent, qui échappent à l'imposition correspondante dans les pays où elles devraient être. Le volume du blanchiment d'argent est équivalent au PIB annuel d'un pays comme l'Espagne (ainsi qu'à sa dette extérieure actuelle), et le volume des fortunes cachées dans les paradis fiscaux à la richesse générée annuellement et conjointement par deux pays de la taille de l'Allemagne et de la France. 

Loin d'être atténuée par l'apparition du coronavirus, la fraude fiscale semble avoir augmenté pendant ces mois de confinement et de ralentissement de l'activité économique. C'est ce qu'a souligné Dalia Grybauskaité, coprésidente de FACTI, lors de la présentation du rapport, qui a également souligné, sans les nommer spécifiquement, « de nombreuses banques collaborant activement au vol des plus pauvres ». 

La prétendue lutte contre la fraude fiscale et la fuite de grandes fortunes vers les paradis fiscaux se termine donc par un échec retentissant, qui n'a pas été stoppé par les initiatives d'organisations intergouvernementales, comme l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ou d'autres de nature mixte, comme le Groupe d'action financière (GAFI), dont les actions finissent par être diluées par « l'absence d'une autorité véritablement supranationale et neutre ». 

Partant de ce constat, ces organismes, ainsi que d'autres plateformes, telles que le Réseau pour la justice fiscale (TJN), réclament une véritable convention fiscale des Nations unies, « qui assure un système fiscal mondial juste et équitable pour tous ». Une exigence qui, à l'occasion du 75e anniversaire de la création de l'ONU, contribuerait à justifier son maintien. Si les Nations unies ont été créées pour prévenir de nouvelles guerres, un objectif qui est depuis longtemps loin d'être atteint, la vérité est que l'inégalité fiscale et l'injustice dans un monde globalisé non seulement accentuent les inégalités, mais favorisent et encouragent aussi l'agitation des pays qui se sentent pillés par ce que l'on pourrait appeler un néocolonialisme de l'ère numérique.

L'évasion fiscale et la corruption généralisée 

C'est précisément la numérisation de l'économie qui rend presque impossible de localiser l'argent caché et de le tracer afin de connaître les véritables propriétaires, protégés par un enchevêtrement de sociétés, de trusts ou de fondations anonymes, par le biais desquels les bénéfices sont transférés ou le capital s'évapore. C'est cette architecture qu'Alex Cobham, le PDG de TJN, entre autres, dénonce, pour qui « ce n'est pas que le système fiscal mondial soit brisé, c'est qu'il est programmé pour échouer ». 

Le document de la FACTI aborde également un autre chapitre qui inonde transversalement le monde des grandes entreprises internationales, les pots-de-vin, qui provoquent une multiplication exponentielle des coûts supplémentaires. La lutte à mort pour conquérir des marchés et obtenir des contrats a multiplié ces pratiques, qui finissent par soumettre tous les candidats, car refuser d'entrer dans ce jeu équivaut à être mis à l'écart. Le rapport va jusqu'à quantifier cet effet multiplicateur : « Un pot-de-vin d'un million [de dollars ou d'euros] peut facilement créer un préjudice de 100 millions, sous la forme de coûts supplémentaires », qui doivent être répercutés sur les travaux finaux, mais qui vont dans certaines poches privées.