L'augmentation exponentielle des revenus énergétiques ne s'est pas traduite par des améliorations socio-économiques pour les citoyens algériens

Algérie : la chute du pouvoir d'achat ouvre le débat sur le sort de la manne pétrolière et gazière

photo_camera REUTERS/RAMZI BOUDINAA - Les prix des denrées alimentaires ont fortement augmenté en Algérie

La chute des prix du pétrole en 2014 a mis la stabilité du régime algérien sur la corde raide. Avec une économie ancrée dans les hydrocarbures et un modèle politique répressif, l'Algérie entre dans une période de bouleversements qui aboutira cinq ans plus tard au déclenchement du Hirak, une mobilisation nationale pacifique suscitée par l'intention du président de l'époque, Abdelaziz Bouteflika, de se présenter une cinquième fois aux élections de 2019. Les manifestants ont également exigé des réformes profondes de l'État. 

L'ampleur du mouvement a conduit à la destitution du vétéran Bouteflika par l'armée. Le régime a dû agir pour maintenir le statu quo, même si en réalité rien n'a changé, comme l'a démontré l'arrivée d'Abdelmadjid Tebboune à la présidence après les élections. Membre éminent du parti au pouvoir et titulaire de plusieurs portefeuilles ministériels sous le régime de feu Bouteflika, Tebboune a utilisé la pandémie de COVID-19 pour réprimer la dissidence et consolider le nouveau visage du régime. Cependant, la situation économique délicate et le fort mécontentement dans les rues font craindre une nouvelle vague de protestations

Les craintes semblent avoir été apaisées. C'est du moins la perception actuelle des dirigeants algériens, qui ont assisté à une augmentation sans précédent des revenus du pétrole et du gaz au cours des derniers mois. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a provoqué une flambée des prix et accéléré la déconnexion énergétique de l'Europe vis-à-vis de la Russie. Le continent cherche désespérément des sources alternatives pour se préparer à un hiver qui s'annonce difficile. Beaucoup ont jeté leur dévolu sur l'Algérie, comme l'Italie de Draghi et la France de Macron, qui ont récemment visité le pays du Maghreb à la recherche d'avantages et de nouveaux contrats gaziers.

Hirak

Selon les données officielles, la balance commerciale de l'Algérie affiche un excédent de 5,6 milliards de dollars au premier semestre 2022, bien supérieur aux chiffres de 2021, qui se limitaient à 1,34 milliard de dollars. Au cours de ce parcours, les exportations ont d'ailleurs augmenté de près de 50%, un niveau qui favorise la stabilisation des réserves de change. Selon la Banque mondiale (BM), le PIB de l'Algérie a retrouvé le muscle qu'il avait perdu pendant la crise du COVID-19. En bref, le vent souffle en faveur de l'establishment. Ce n'est pas le cas pour la population.

La forte augmentation des revenus du pétrole et du gaz ne s'est pas traduite par des améliorations sociales et économiques pour les citoyens algériens. Cela s'est traduit, entre autres exemples, par l'augmentation exponentielle du nombre de familles qui ont demandé à acheter du matériel scolaire pour leurs enfants en plusieurs versements après le début de l'année scolaire. Le pouvoir d'achat a souffert de la crise, ce qui a amené beaucoup de gens à se demander où va la manne énergétique. Il y a des doutes. 

En outre, les problèmes économiques structurels de l'Algérie demeurent. Le taux de chômage élevé, qui dépasse les 12 %, l'inflation galopante et la hausse exponentielle des prix, conjugués à la forte dépendance à l'égard des hydrocarbures, menacent de briser la période de croissance relative de l'Algérie.

Abdelmajdid Tebboune

Le mandat de Bouteflika (1999-2019) a coïncidé avec des prix du pétrole et du gaz plus ou moins stables. Cela a permis au dirigeant autoritaire de gouverner sans être soumis aux diktats de l'économie, en utilisant les mesures de redistribution des revenus comme pare-feu pour contenir l'éclosion du printemps arabe en Algérie. Son successeur, Tebboune, n'a pas connu le même sort en raison de la pandémie et de l'instabilité croissante au Maghreb. Cependant, l'actuel président tente de copier la "méthode Bouteflika"

Au début de l'année, Tebboune, qui se prépare à un second mandat, a assuré que l'exécutif se concentrerait sur l'économie. Une augmentation des dépenses publiques était donc attendue après des années d'austérité encouragée par le Fonds monétaire international (FMI), dont les prescriptions visaient à réduire la dette publique, qui avait explosé à 65,54 milliards de dollars. Le résultat a été une réduction drastique de l'État et une détérioration visible des services publics, source de mécontentement social.

Hirak

Durant cette période, le gouvernement algérien a mis en place une série de mesures, jusqu'à présent infructueuses, pour contenir la baisse du pouvoir d'achat. Des allocations de chômage pour les nouveaux travailleurs, des augmentations de salaire, la suppression des droits de douane de base et des subventions pour certains biens de consommation tels que l'huile, le sucre, le lait et le pain. La frustration dans les rues ne faiblit pas pour autant. Le scénario reste préoccupant et la plupart des familles n'ont guère de marge de manœuvre pour affronter les mois à venir. 

Le directeur de la BM pour le Maghreb, Jesko Hentschel, a souligné dans son dernier rapport que, malgré l'apparente reprise de l'activité économique en Algérie, "des défis demeurent, aggravés par la forte volatilité des prix du pétrole et l'incertitude de la dynamique de l'économie mondiale". Pour surmonter cette situation, l'économiste allemand a recommandé à l'État algérien d'associer le secteur privé à ses efforts, ce qui "sera essentiel pour stimuler une croissance inclusive et créer des emplois". 

Cependant, l'élite du pouvoir algérien contrôle l'économie nationale. Il domine pratiquement sans partage dans tous les secteurs, entravant le développement de l'initiative privée et bloquant finalement l'ascenseur social. L'économiste et président de l'université Paris-Dauphine, E.M. Mouhoud, décrit le modèle économique algérien comme une sorte de "capitalisme de copinage" dans lequel les élites "se réservent les marchés et empêchent l'émergence de concurrents privés et indépendants". La consanguinité et la bureaucratie excessive font de l'Algérie l'un des environnements les plus difficiles au monde pour créer et gérer une entreprise, selon Freedom House.

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