Les préoccupations climatiques entraînent une accélération de la transition mondiale vers des sources d'énergie écologiquement durables, avec des implications importantes pour les marchés émergents qui cherchent à suivre la forte croissance de la demande sur le long terme.
Signe de l'influence croissante des normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) dans le secteur de l'énergie, trois des principales entreprises énergétiques mondiales ont récemment connu des évolutions importantes qui pourraient changer radicalement leur mode de fonctionnement.
Dans une décision historique rendue le 26 mai, un tribunal néerlandais a ordonné à Royal Dutch Shell de réduire ses émissions de carbone de 45 % d'ici à 2030, par rapport aux niveaux de 2019.

L'action en justice a été intentée par sept groupes, dont les organisations environnementales Greenpeace et Friends of the Earth Netherlands, au nom de 17 000 citoyens néerlandais, qui ont affirmé que la société menaçait leurs droits fondamentaux en continuant à investir dans les combustibles fossiles.
Bien que Shell, qui avait déjà présenté un plan de réduction des émissions de carbone, ait promis de faire appel de la décision, celle-ci est révélatrice de la pression croissante exercée sur les grandes entreprises énergétiques pour qu'elles améliorent leur bilan climatique.
Le même jour que la décision de justice, les actionnaires du géant américain de l'énergie Chevron ont voté en faveur d'une proposition visant à réduire les émissions générées par l'utilisation des produits de la société, tandis qu'un jour plus tard, le 27 mai, le fonds spéculatif Engine No.1 a réussi à évincer deux membres du conseil d'administration d'Exxon Mobil dans le cadre d'une tentative visant à modifier les efforts de la société en matière de changement climatique.

Bien que ces deux derniers développements ne contiennent pas de mesures concrètes en faveur de la décarbonisation, ils soulignent l'appétit des investisseurs pour des normes ESG plus strictes et une transition plus rapide vers les énergies renouvelables.
En effet, de nombreux analystes financiers estiment que les banques seront confrontées à l'avenir à de nouvelles exigences en matière de fonds propres en raison de l'exposition de leurs prêts au changement climatique. Bien que les régulateurs n'aient pas encore publié de règles contraignantes, les directives de la Banque centrale européenne publiées en novembre de l'année dernière invitent les banques à prendre en compte les risques climatiques lors de l'évaluation des besoins en capitaux.

Par ailleurs, à titre d'exemple de l'évolution des gouvernements, le 25 mai, les ministres du climat et de l'environnement du G7 ont convenu de mettre fin au soutien direct des gouvernements à la production d'électricité à partir du charbon d'ici la fin de l'année et se sont engagés à interdire les subventions aux combustibles fossiles d'ici 2025.
Ces efforts pour améliorer la durabilité interviennent dans un contexte de publication de plans détaillés de neutralité climatique pour le secteur de l'énergie, qui est responsable d'environ trois quarts des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
À la mi-mai, l'Agence internationale de l'énergie (AIE), une organisation intergouvernementale basée à Paris, a publié "Net Zero by 2050", la première feuille de route complète sur l'énergie qui explique en détail comment le secteur de l'énergie peut atteindre des émissions nettes de carbone nulles d'ici 2050.

Avec 400 étapes pour atteindre cet objectif, le rapport appelle à une interdiction immédiate des investissements dans de nouveaux projets de combustibles fossiles à l'échelle mondiale, ainsi qu'à une interdiction des ventes de nouvelles voitures particulières à moteur à combustion interne à partir de 2035.
Pour répondre à la demande, elle envisage un déploiement massif des énergies renouvelables, qui, selon la feuille de route, représenteraient près de 90 % de la production d'électricité en 2050. Par exemple, il décrit une multiplication par 20 de la capacité solaire d'ici à 2050 et une multiplication par 11 de l'énergie éolienne.
Alors que l'énergie solaire deviendrait la principale source d'énergie dans le cadre du plan, les combustibles fossiles passeraient des niveaux actuels de près de quatre cinquièmes de l'approvisionnement énergétique mondial à un peu plus d'un cinquième.

Consciente que la feuille de route est ambitieuse, l'AIE confie aux gouvernements la lourde responsabilité de promouvoir des technologies et des formes d'énergie écologiquement durables pour atteindre l'objectif "zéro".
"Faire des émissions nettes nulles une réalité dépend de la volonté singulière et inébranlable de tous les gouvernements, qui doivent collaborer entre eux et avec les entreprises, les investisseurs et les citoyens", indique le rapport. "Toutes les parties prenantes doivent faire leur part. Une action d'envergure de la part des gouvernements à tous les niveaux sur la voie du "net zéro" contribue à encadrer, influencer et encourager les achats des consommateurs et les investissements des entreprises.
Cette volonté de neutralité carbone et d'amélioration de la durabilité environnementale exerce un ensemble unique de pressions sur les marchés émergents.
Par exemple, le rapport de l'AIE indique que les marchés émergents représenteront la plus grande part de la demande d'électricité au cours des prochaines décennies, à mesure que les économies s'industrialisent et se développent. Le fait qu'un grand nombre des grands producteurs mondiaux de pétrole et de gaz soient des marchés émergents du Moyen-Orient et d'Afrique constitue peut-être un défi tout aussi important.
Signe que les producteurs de pétrole s'adaptent aux nouvelles exigences, début mai, le Qatar et l'Arabie saoudite se sont joints au Canada, à la Norvège et aux États-Unis pour créer le Net-Zero Producers Forum, un organisme chargé de proposer des stratégies à long terme pour parvenir à des émissions mondiales nulles.

L'Arabie saoudite, premier producteur mondial de pétrole, a des projets particulièrement ambitieux pour devenir un leader de la transition énergétique. Le pays vise à tirer 50 % de son électricité de sources renouvelables d'ici 2030, une augmentation spectaculaire par rapport à 0,05 % en 2018.
À cette fin, elle a dévoilé en avril la centrale solaire Sakaka de 300 MW, le premier projet d'énergie renouvelable à l'échelle du pays, puis a annoncé que des accords avaient été signés pour sept nouveaux projets solaires, d'une capacité combinée de 3,7 GW.
Si la transition énergétique nécessitera sans aucun doute une restructuration économique importante dans les pays qui tirent une grande partie de leur PIB du pétrole et du gaz, les avantages économiques à en tirer sont également considérables.