Cette reconnaissance est un des gestes d'apaisement recommandés par l'historien Benjamin Stora dans son rapport sur la colonisation et la guerre d'Algérie

Emmanuel Macron reconnaît que l'avocat Ali Boumendjel a été "torturé et tué" par l'armée française

photo_camera AFP/ERIC FEFERBERG - Malika Boumendjel, veuve de l'avocat algérien Ali Boumendjel, et ses petits-enfants, lors d'une interview sur la mort de son mari pendant sa détention de 43 jours par l'armée française le 23 mars 1957.

Emmanuel Macron a reconnu mardi, "au nom de la France", que l'avocat et leader nationaliste Ali Boumendjel a été "torturé et tué" par l'armée française pendant la guerre d'Algérie en 1957, a annoncé l'Elysée, un meurtre qui à l'époque a été passé pour un suicide. Cette reconnaissance, que le chef de l'Etat a lui-même annoncée aux petits-enfants d'Ali Boumendjel en les recevant mardi, est l'un des gestes d'apaisement préconisés par l'historien Benjamin Stora dans son rapport sur la colonisation et la guerre en Algérie, pour résoudre les tensions autour de la mémoire de ce conflit.

L'équation est à la fois intellectuelle, politique et commémorative. Comment raconter le passé quand on occupe la plus haute fonction en France ? Comment interpréter et foisonner dans le récit français quand on n'a pas vécu, autrement que par la lecture, l'empreinte des grands drames ?

Né le 23 mai 1919 dans une riche famille algérienne, Boumendjel est un brillant étudiant diplômé en droit, à l'esprit ouvert et humaniste, inspiré par les Lumières, selon l'Elysée, qui reconnaît également ses interventions publiques en faveur de la paix.

Pendant la bataille d'Alger, Boumendjel est arrêté par l'armée française, torturé et tué le 23 mars 1957. L'ancien général d'armée Paul Aussaresses avait déjà admis avoir donné l'ordre de le tuer et de déguiser le crime en suicide.
 

PHOTO/REUTERS-El presidente francés Emmanuel Macron se reúne con el historiador Benjamin Stora en el Palacio del Elíseo en París, Francia, 20 de enero de 2021

Emmanuel Macron avait confié à l'historien Benjamin Stora une mission sur "la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie", avec pour mission de remettre au Président un rapport avec des recommandations pratiques afin de promouvoir "la réconciliation entre les peuples français et algérien". La tentative de réconciliation de la mémoire franco-algérienne semble trouver la lumière au bout du tunnel. Près d'un mois après sa remise à Emmanuel Macron, le rapport de l'historien Benjamin Stora sur l'apaisement des mémoires de la colonisation et de la guerre d'Algérie semble trouver un débouché politique.

Ce rapport était attendu. D'une part, parce que le sujet est très inflammable, au point de déchaîner les passions, alors que l'Algérie est indépendante depuis près de 60 ans, et d'autre part, en raison de la personnalité de Benjamin Stora, qui a consacré sa carrière à l'histoire de l'Algérie et de l'immigration maghrébine, il ne peut être considéré comme un observateur insignifiant, dans la mesure où ses engagements passés - à l'extrême gauche dans sa jeunesse, à gauche dans ses années de maturité - ne peuvent être totalement séparés de son travail scientifique, qui porte la marque d'un anticolonialisme de principe et d'une empathie non déguisée avec le nationalisme algérien.

Le rapport de Stora propose d'apaiser les mémoires rivales autour de la guerre d'Algérie, qui empoisonnent le lien entre les deux pays, ainsi que le débat public au sein de la société française. Les médias français ont cité le Palais de l'Elysée en disant : "Le rapport ne signifie pas un pas vers des excuses à l'Algérie".

PHOTO/AFP  -Foto de archivo del abogado argelino Ali Boumendjel, también miembro de la resistencia clandestina Frente de Liberación de Argelia (FLN)

L'enjeu de cette pacification des imaginaires arrachés à la "rhétorique du passé" est géopolitique, puisqu'il concerne la perception, et donc l'influence, de la France dans l'espace méditerranéen. C'est aussi une question de cohésion nationale, qui a tout à gagner du "passage d'une mémoire communautarisée à une mémoire commune", selon les termes de Stora. Sept millions de Français qui avaient vécu, personnellement ou en famille, les drames de la décolonisation en Algérie (pieds-noirs, immigrés, soldats, harkis, etc.) avaient été jusqu'alors déchirés dans un "concours de victimes" où chaque "groupe de mémoire" avait érigé sa blessure comme "supérieure à l'autre". Le moment est venu de sortir de cet "encerclement".

C'est en tout cas l'objectif de la réflexion confiée à Stora par le chef de l'Etat, qui souhaite réussir là où ses prédécesseurs ont échoué. Dans la lettre de mission adressée en juillet 2020 à l'historien, spécialiste reconnu de la guerre d'Algérie et de l'immigration maghrébine en France, Macron lui demande de l'éclairer sur les gestes susceptibles de contribuer "à l'apaisement et à la sérénité de ceux que [la guerre d'Algérie] a blessés, (...) tant en France qu'en Algérie".

Au même moment, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a annoncé qu'il avait nommé le Dr Abdelmadjid Chikhi, directeur général du Centre des archives nationales algériennes, pour mener un travail de "vérité" sur les questions de mémoire entre les deux pays.

Les autorités et les historiens algériens affirment que cette période a vu l'assassinat de près de 5 millions de personnes, ainsi que des campagnes de déplacement et de pillage des richesses, et le vol de milliers de documents et d'objets, dont certains remontent à l'époque ottomane (1515-1830).

Les responsables français ont réitéré à plusieurs reprises la nécessité de tourner une nouvelle page dans les relations, mais l'Algérie a exigé à plusieurs reprises la reconnaissance officielle des crimes coloniaux de la part de Paris. 
 

PHOTO/AFP-En esta foto de archivo tomada el 14 de marzo de 1957, paracaidistas franceses interrogan al argelino Omar Merouane en Saint Eugene

Le gouvernement algérien a appelé à plusieurs reprises à la "reconnaissance des crimes coloniaux de la France". "Nous ne favoriserons pas les bonnes relations au détriment de l'histoire et de la mémoire, mais les problèmes se résolvent avec intelligence et calme, et non avec des slogans", a déclaré lundi soir le président algérien Abdelmadjid Tebboune.

La réconciliation entre Paris et Alger doit s'inscrire dans une reconnaissance mutuelle qui ne soit "ni un déni ni un repentir", a déclaré mardi matin l'ambassadeur de France en Algérie, François Gouyette, dans une interview au quotidien français L'Expression, proche du gouvernement.

Avec le recul, il semble raisonnable de considérer cette date comme un tournant où les deux pays, par l'intermédiaire de leurs présidents, ont décidé de mettre ce problème de mémoire sur la table. "C'est une très bonne initiative. Nous ne pouvons pas prolonger des situations qui empêchent les deux pays, les deux peuples, de s'affronter. Nous devons essayer de surmonter cette situation, quelle que soit la douleur ressentie par les deux parties. Nous devons également savoir ce que nous entendons par "mémoire" et "gestion de la mémoire".

PHOTO/AFP-En esta foto de archivo tomada el 14 de marzo de 1957, paracaidistas franceses interrogan al argelino Omar Merouane en Saint Eugene
France-Algérie : la difficile quête de la réconciliation historique 

En 1962, des centaines de milliers d'Européens d'Algérie ou de parents enracinés depuis un siècle en Afrique du Nord qui s'identifiaient à la France, ont émigré en Europe. C'étaient les soi-disant Pieds-noirs, ou pieds noirs

Así terminó una guerra que había estallado en 1954 y que dejó heridas todavía abiertas entre Francia y la nueva Argelia independiente después de 130 años de dominio francés. De aquel conflicto nació la V República, el actual régimen constitucional en Francia, y ahí se gestaron resentimientos que desde entonces han alimentado a la extrema derecha y el yihadismo autóctono francés.

PHOTO/AFP-Esta foto de archivo, tomada el 5 de enero de 1957, muestra los cuerpos de los independentistas argelinos muertos por soldados franceses en Argel.

La guerre a séparé l'Algérie de la France, mais elle a aussi divisé les Algériens - les Harkis, qui ont combattu aux côtés des troupes françaises, ont été victimes de massacres dans leur pays et ont dû le quitter - et les Français eux-mêmes. Selon les estimations citées dans le rapport, il y a eu environ un demi-million de morts.

En 1974, le gouvernement français a décidé de suspendre l'immigration de travailleurs permanents, tout en reconnaissant le droit d'asile et le regroupement familial. L'idée du retour a été un élément central de l'émigration maghrébine. Cependant, avec la fermeture des frontières et la fin officielle de la politique migratoire française, c'est paradoxalement le contraire qui s'est produit, elle a contribué à un règlement définitif. Dans les années 1980, la question des migrations a pris une nouvelle dimension politico-sociale et la nécessité d'accorder des droits aux immigrés a été soulignée, ce qui a provoqué une réaction xénophobe d'une partie de la population française. Depuis lors, la question de la citoyenneté et de l'identité françaises est au centre des débats publics, les réformes "d'intégration" reflétant les profondes divergences entre les immigrés et la population française. L'intégration des musulmans en France est devenue, depuis plus de trois décennies, l'un des enjeux centraux de la politique et de la société françaises. 

Ce passé passera-t-il enfin ? L'imbroglio, à la fois diplomatique (vicissitudes des relations entre Paris et Alger), identitaire (intégration des jeunes d'origine immigrée) et historiographique (archives insuffisamment ouvertes), condense une complexité pour le moins délicate à démêler.

La rédaction de ce rapport de 160 pages est l'aboutissement d'une vie marquée par le colonialisme. À l'approche du 60e anniversaire de la fin de la guerre et de l'indépendance de l'Algérie, Paris et Alger ont fait de cette "réconciliation des mémoires" une priorité, et Macron et Tebboune se sont engagés à travailler ensemble sur cette question.

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