Le président somalien cède à la pression et refuse de prolonger son mandat 

La crise politique fait craindre le pire à Mogadiscio

photo_camera AP/FARAH ABDI WARSAMEH - Des manifestants de groupes d'opposition somaliens brûlent des photos du président dans le quartier de Fagah à Mogadiscio, en Somalie, le 25 avril 2021.

Depuis le 26 avril, Mogadiscio est restée calme, mais, selon les médias locaux, les forces loyales du président Mohamed Abdullahi Mohamed et celles qui soutiennent l'opposition continuent d'occuper des positions stratégiques, notamment dans les zones de Fagah et de Sana, dans le nord de la ville, et de nombreux citoyens ont fui leur domicile par crainte des violences. Le déploiement de milices loyales aux leaders de l'opposition dans certains quartiers de Mogadiscio le 26 avril a marqué une nouvelle escalade dans la longue crise politique que traverse la Somalie. Des milices armées et des véhicules équipés de mitrailleuses ont pris position dans les bastions de l'opposition à Mogadiscio, au lendemain d'un échange de tirs avec les forces de sécurité somaliennes lors d'une manifestation de partisans de l'opposition contre la prolongation du règne du président Mohamed Abdullahi Mohamed, dit "Farmaajo". Les tirs sporadiques, entendus toute la nuit, semblent avoir cessé. Cependant, des barricades ont été érigées dans certaines zones et les habitants ont fui, craignant de nouveaux affrontements.

Manifestantes de grupos de la oposición somalí protestan en la zona de Fagah, en Mogadiscio, Somalia, el 25 de abril de 2021.  AP/FARAH ABDI WARSAMEH

La Somalie est, après le Soudan du Sud, le pays le plus violent d'Afrique et le sixième au monde, selon l'indice mondial de la paix 2020. Et, compte tenu du fait que le Sud-Soudan est plongé dans un processus de paix depuis un an, et qu'en Somalie il n'y a aucun signe d'amélioration substantielle de la situation à court terme, il est très possible que l'État de la Corne de l'Afrique déloge le jeune Sud-Soudan de cette ignoble première place continentale. Le pays reste ancré dans une spirale de violence difficile à contenir depuis le pic de violence qui a eu lieu entre 2013 et 2014. Une violence qui vient traditionnellement de la main d'Al-Shabaab, un groupe terroriste lié à Al-Qaeda dont l'activité se concentre sur les régions autour de la capitale somalienne, Mogadiscio. Le problème de la Somalie n'est toutefois pas exclusivement la violence ; celle-ci n'est qu'une conséquence supplémentaire d'un problème plus profond : la désintégration politique dont souffre le pays depuis des décennies et qui en fait l'exemple parfait de ce qu'est un État défaillant. 

Personal de la fuerza militar somalí que apoya a los líderes de la oposición antigubernamental en una calle en Mogadiscio, Somalia, el 25 de abril de 2021 PHOTO/AFP

Le mandat de quatre ans du président Farmaajo a expiré le 8 février sans que des élections aient été organisées. L'opposition, qui considère l'autorité de Farmaajo comme illégitime depuis le 8 février, a dénoncé cette décision comme un stratagème du président et de ses alliés pour rester au pouvoir. La décision de prolonger son mandat met Farmaajo en opposition directe avec des rivaux politiques influents et armés, mais aussi avec les puissances occidentales qui soutiennent son fragile gouvernement. Le 12 avril, le Parlement a voté la prolongation du mandat du président et de son gouvernement pour deux ans, le temps d'organiser des élections présidentielles et parlementaires. L'extension, qui a été signée par le président, a été jugée inconstitutionnelle, notamment par le président du Sénat, dont la chambre n'a pas pu examiner le texte.

Quelques jours avant la fin du mandat, des réunions urgentes ont été convoquées avec les dirigeants régionaux pour tenter de parvenir à un accord qui permettrait la tenue des élections, sans succès. Le président a tenté de se présenter comme candidat intérimaire, mais le Parlement ne l'a pas approuvé, arguant qu'il était inconstitutionnel de prolonger son gouvernement, même temporairement. Cette résolution constitue une violation de l'accord du 17 septembre, qui a non seulement suscité la colère des dirigeants de l'opposition, des puissances et des organisations internationales, mais a également engendré la violence et la division au sein des forces armées somaliennes. 

Manifestación contra el presidente de Somalia, Mohamed Abdullahi Mohamed, en las calles del distrito Yaqshid de Mogadiscio, Somalia 25 de abril de 2021 REUTERS/FEISAL OMAR

Cette crise politique découle du désaccord persistant entre Farmaajo et les dirigeants du Puntland et du Jubaland, deux des cinq États semi-autonomes de Somalie, concernant la tenue d'élections. Les rivaux de Farmaajo au Puntland et au Jubaland sont alliés à une puissante coalition d'aspirants à la présidence et de poids lourds de l'opposition à Mogadiscio, dont deux anciens chefs d'État et le président du Sénat. Ces opposants affirment que la prolongation du mandat présidentiel, qu'ils considèrent comme "nul et non avenu", compromet la paix et la stabilité en Somalie. Cette menace est d'autant plus grande que plusieurs des ennemis de Farmaajo sont des chefs de milice clanique.

D'autres personnalités ont publiquement exprimé leur désaccord, comme le chef de la police de Mogadiscio. Il a été démis de ses fonctions après avoir tenté de fermer le parlement avant le vote du 12 avril, ce qu'il a publiquement dénoncé comme une tentative de prise de pouvoir. Les analystes craignent que les forces de sécurité, mal payées et lourdement armées, soient divisées selon des lignes politiques et claniques, ce qui fait craindre un retour aux affrontements de rue meurtriers à Mogadiscio. 

Un soldado que apoya a los grupos de oposición antigubernamental lleva un lanzagranadas propulsado por cohetes en una calle de la zona de Fagah en Mogadiscio, Somalia, el domingo 25 de abril de 2021 AP/FARAH ABDI WARSAMEH

Les Nations unies avaient prévenu que la communauté internationale, qui maintient la Somalie à flot financièrement, ne tolérerait pas un nouveau report du scrutin ou une prolongation du mandat. L'Union européenne a également évoqué des "actions concrètes" si les négociations électorales ne reprennent pas. L'Union africaine a été beaucoup plus ferme. Dans un communiqué publié en fin de journée, elle a qualifié l'impasse politique et le report des élections de moyen de "saper l'unité et la stabilité du pays" et a appelé à "une reprise immédiate du dialogue sur la base de l'accord de septembre 2020".SOMALIA

Après cette perte de soutien en chaîne pour Farmaajo, la communauté internationale a exprimé son soutien aux demandes du Premier ministre et des dirigeants régionaux. En conséquence, le 28 avril, Farmaajo a cédé aux pressions de l'opposition et de la communauté internationale et a annoncé qu'il refusait de prolonger son mandat de deux ans. Dans son discours, Farmaajo a déclaré qu'il s'adresserait au Parlement le 2 mai afin de solliciter son soutien au processus électoral. Il a également exhorté les forces de sécurité de l'État à maintenir la stabilité dans la capitale somalienne, Mogadiscio, et la sécurité de la population civile. 

Que Farmaajo reste ou non président de la Somalie pour les deux prochaines années, la préparation des élections doit commencer dès que possible et, à cette fin, les autorités régionales, les dirigeants de l'opposition et le gouvernement doivent continuer à négocier la réforme du système électoral. Compte tenu des expériences de l'année écoulée et de la non-reconnaissance du mandat prolongé de Farmaajo en tant que président pour certaines autorités locales et régionales, il semble que les parties soient dans une véritable impasse dans les négociations. 

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