Captagon est devenu un moyen d'échapper à la réalité

La "drogue du djihad" conquiert un ancien bastion de Daesh dans le centre de l'Irak

AP/KHALID MOHAMMED - Image d'archive de manifestants irakiens

Le groupe terroriste Daesh a été chassé en 2015 de la ville de Ramadi, située dans le désert central de l'Irak et traversée par le fleuve Euphrate, mais les radicaux ont laissé un héritage empoisonné à sa population : le captagon, connu comme "la drogue du djihad".

Cette amphétamine, qui supprime la sensation de peur et de fatigue, a été largement utilisée par les combattants de Daesh lors des combats en Irak et en Syrie, où ils ont conquis des régions entières en 2014 et n'ont été vaincus qu'en 2017 dans le premier pays et en 2019 dans le second.

Il est désormais essentiellement produit en Syrie et entre en Irak par la longue et poreuse frontière entre les deux pays, la province d'Al-Anbar, dont Ramadi est la capitale, étant son principal point de transit.

Le capitaine Said, de la police de Ramadi, montre des images de son téléphone de la dernière saisie de cette substance : des centaines de pilules jaunes cachées dans les pneus d'un camion et à l'intérieur d'un baril d'essence, prêtes à être distribuées et vendues pour être consommées.

Les forces de sécurité effectuent des patrouilles quotidiennes, ainsi que des raids contre la drogue et des visites dans le district industriel de Ramadi, où le capitaine distribue également des tracts pour sensibiliser les mécaniciens et les clients.

"Nous avons commencé notre tournée ici parce que nous avons attrapé deux 'pousseurs'. Nous donnons également aux gens nos coordonnées et leur disons de nous appeler s'ils ont des informations ou s'ils remarquent quelque chose de suspect", explique-t-il à EFE lors d'une de ces patrouilles.

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Du transit à la consommation

Al-Anbar était l'un des principaux points d'entrée du captagon en Irak, mais peu à peu il a commencé à être consommé par sa population, meurtrie par des décennies de guerre et de négligence de la part du gouvernement central, recourant ainsi à ce stupéfiant pour faire face à leur dure situation.

Face à l'absence de services de base comme l'électricité et à la montée du chômage, ce que l'on appelle la "drogue des djihadistes" est devenu un moyen d'échapper à la réalité et de rester éveillé pendant des jours pour un prix abordable de moins de trois dollars.

Ahmed, un nom de code de 23 ans, est diplômé en informatique de l'université de Ramadi et parle couramment l'anglais, mais il est contraint de faire de petits boulots de jour comme de nuit, avec peu de sommeil, pour survivre. Le captagon lui permet de faire face à ces horaires.

"Pour nous, tout est faux ici. Les conditions de vie, le travail, la sécurité... Nous ne nous sentons pas en sécurité (...) Et si jamais vous trouvez un emploi, vous travaillerez trop d'heures sans être bien payés", murmure-t-il à EFE en portant une cigarette après l'autre à ses lèvres.

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La drogue comme seul moyen de s'en sortir

Le Captagon a également attiré de nombreuses personnes qui ont commencé à dealer cette substance pour subvenir à leurs besoins et faire face à de lourdes peines de prison.

Menotté dans un poste de police de Ramadi, Abdallah, nom de code d'un trafiquant, a été arrêté fin août près d'Al-Qaim, à la frontière irako-syrienne, et est détenu en attente de jugement depuis lors.

Il admet dans une interview accordée à l'EFE qu'il connaissait les risques et les conséquences du trafic : "Je sais que je risque maintenant la prison à vie. J'ai fait une erreur et j'en accepte les conséquences. Mais je n'avais pas le choix. Je ne trouvais pas de travail et c'est la seule chose que j'ai pu trouver à faire".

Le capitaine Said révèle qu'il a été arrêté pour possession de 150 000 pilules de captagon, ce qui est passible de la prison à vie. La même phrase s'applique aux consommateurs de drogues.

Selon un rapport publié cette année par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), en 2019, l'Arabie saoudite a saisi 146 millions d'amphétamines et la Jordanie 23 millions, la plupart produites en Syrie et en Jordanie, qui partagent une frontière entre elles et avec l'Irak. Dans ce dernier pays, 600 000 pilules ont été interceptées.

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Réhabilitation

Mais au-delà de la persécution, certains militants de Ramadi cherchent à éliminer la stigmatisation qui entoure ceux qui ont été contraints de dealer ou de consommer par désespoir, et qui sont maintenant marginalisés dans cette communauté musulmane conservatrice au milieu du désert.

"Ce que nous voulons obtenir avec notre campagne, c'est que les utilisateurs ne soient pas traités comme des criminels. Nous voulons plutôt qu'ils aient accès à un traitement médical pour les aider à se désintoxiquer", explique Nuriddin al-Hamdani, membre de Peace for Ramadi.

L'activiste de 28 ans regrette qu'à Ramadi "toute personne en possession de drogues soit considérée comme un criminel", une approche qui ne favorise pas la réhabilitation des toxicomanes ni leur réinsertion.

Jusqu'à présent, les autorités provinciales ont ignoré les demandes de construction d'un centre de désintoxication et continuent de transférer les consommateurs et les trafiquants de drogue en prison, en se fondant sur le code pénal strict et aussi sur le rejet de la société.
 

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