L'incertitude monte en Tunisie alors que le coup d'état du président Saied est terminé

La justice tunisienne pointe du doigt l'islamisme et ouvre une enquête contre Ennahda pour financement étranger

PHOTO/REUTERS - Le président du Parlement, Rached Ghannouchi, dans le bâtiment du Parlement à Tunis

Dix ans après le déclenchement de la révolution de Jasmin, l'allumette qui a allumé la mèche du printemps arabe, le premier et seul pays islamique à connaître une ouverture démocratique vit des jours décisifs pour son avenir. Le coup d'état du président Kaïs Saied sur la scène politique tunisienne a mis la communauté internationale en émoi et a ouvert une période de crise constitutionnelle qui doit être résolue dans les 30 prochains jours. 

Saied a pris les pleins pouvoirs dimanche après avoir démis le premier ministre, Hichem Mechichi, et suspendu le parlement pendant un mois. Le président a également limogé les ministres de la défense, de l'intérieur et de la justice et décrété un couvre-feu en vigueur jusqu'au 27 août, ainsi que l'interdiction des rassemblements de plus de trois personnes dans les lieux publics. Mardi, Saied a également renvoyé plus de 20 hauts fonctionnaires, dont le procureur général.

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Dans ce contexte, le procureur adjoint du tribunal de première instance de Tunis, Mohsen Dali, a annoncé mardi l'ouverture d'une enquête contre Ennahda et deux autres partis politiques pour "financement de l'étranger et acceptation de dons pour des campagnes électorales", faisant partie du principal bloc au parlement.

Le président tunisien, un profil éloigné de l'establishment et sans plateforme politique derrière lui, a pris cette décision controversée en réponse à la vague de manifestations contre la gestion sanitaire et économique exercée par le gouvernement islamiste d'Ennahda, qui ont eu lieu dimanche dernier dans les principales villes de Tunisie. Il l'a annoncé dans un discours télévisé le soir même, après avoir tenu une réunion avec son noyau dur au palais de Carthage. 

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Après avoir appris la nouvelle, des milliers de Tunisiens sont à nouveau descendus dans la rue. Certains pour fêter, d'autres pour protester contre la grâce de Saied. Cet affrontement a mis en lumière la profonde fracture sociale que connaît le pays après plus d'une décennie de crise et d'instabilité politique. Des affrontements ont rapidement éclaté entre les partisans de Saied et ceux d'Ennahda, sans incidents graves jusqu'à présent.

La cause de cette éruption sociale est la crise dévastatrice du COVID-19. Au cours des sept derniers jours, le pays d'Afrique du Nord a enregistré plus de 64 000 nouvelles infections et 2 317 décès, dont 164 ont été enregistrés mardi, soit l'un des taux de mortalité les plus élevés du continent. D'autres, en revanche, mettent l'accent sur la précarité de la situation économique et la rareté des possibilités d'emploi. Il y a dix ans, la figure de Mohamed Bouazizi symbolisait les sentiments d'une génération confrontée au manque d'opportunités. Aujourd'hui, avec le renversement du régime qui les a kidnappés, la situation ne semble pas avoir changé : le chômage des jeunes s'élève à 40,8% et l'économie s'est contractée de 8,8% du PIB de la Tunisie en 2020.

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Les problèmes de la Tunisie sont structurels et profonds, c'est du moins le diagnostic du Président Saied. L'austère professeur de droit constitutionnel, sans expérience politique préalable, a fait campagne lors des élections de 2019 pour modifier la constitution de 2014 - dont il était l'un des rédacteurs. Saied, 63 ans, a remporté les élections avec plus de 72 % des voix en ralliant les électeurs désabusés par le système.

En ce sens, la justification de Saied pour s'arroger les pleins pouvoirs réside dans l'article 80 de la Charte Marga. Ce titre stipule que le président de la République peut prendre des mesures exceptionnelles "en cas de danger imminent qui menace les institutions de la nation ou la sécurité ou l'indépendance du pays, et qui entrave le fonctionnement normal de l'État", un champ ouvert à l'interprétation.

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Toutefois, le contenu précise que la décision doit être rendue "après consultation du chef du gouvernement et du président de l'Assemblée des représentants du peuple et information du président de la Cour constitutionnelle", critères qui n'ont pas été mis en œuvre. D'abord, en raison de la méfiance croissante entre Saied et l'exécutif islamiste, ainsi que de la déconnexion totale avec le président du Parlement, Rached Ghannouchi, lui-même membre fondateur et dirigeant d'Ennahda. De plus, la Cour constitutionnelle n'existe même pas.

Saied a fait savoir à la société civile que la situation d'urgence était temporaire et a assuré qu'il protégerait "la voie démocratique". M. Ghannouchi, pour sa part, a accusé le président d'avoir organisé "un coup d'État" et a appelé ses militants à manifester pour "récupérer la démocratie et la révolution". L'intensité des critiques à l'encontre du président Saied est retombée ces dernières heures. Une partie de l'opposition lui a apporté son soutien, tandis que l'autre moitié prône une "réunion constitutionnelle".

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Une partie de l'opinion publique est critique à l'égard du parti au pouvoir. Connu sous le nom de Parti de la Renaissance et inspiré par les Frères musulmans, Enhada représente la principale force politique de la Tunisie et a été présent dans tous les gouvernements depuis 2011 jusqu'à arriver seul au pouvoir en 2019. Dans un pays traditionnellement laïc, Ennahda professe un islamisme politique fort qui l'a contraint à se retirer de la Troïka en 2013 après avoir été accusé d'être l'instigateur de l'assassinat de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, deux leaders de gauche. Toutefois, le parti a fini par former un gouvernement de coalition un an plus tard avec le principal parti laïc.

Les graves allégations d'infiltration des forces de sécurité et du système judiciaire n'ont pas empêché Ennahda de remporter les élections de 2019. Après les élections, le parti s'est attelé à la tâche de gouverner dans un parlement comptant plus de 30 forces politiques, le plus fragmenté de son histoire. Dans ce scénario, l'incapacité à conclure des accords et les allégations de corruption ont conduit à la démission du Premier ministre Elyès Fakhfakh en 2020.

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C'est Saied lui-même qui a nommé le technocrate Mechichi, alors ministre de l'intérieur, au poste de premier ministre. Une fois en poste, il a tissé des alliances avec divers partis contre la ligne du président. Mechichi a accepté la décision de Saied et a annoncé qu'il faciliterait le transfert du pouvoir. "J'ai pris des décisions qui sont impopulaires aux yeux de certains", a-t-il reconnu, tout en précisant qu'elles étaient nécessaires compte tenu des capacités limitées de l'État et de la détérioration de la situation économique. 

Réaction internationale

Les réactions internationales ont été rapides. Les premiers à s'exprimer ont été les médias en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et en Égypte, qui ont salué la décision du président Saied. Riyad, Abu Dhabi et Le Caire ont lié Ennahda aux Frères musulmans et l'ont accusé de fomenter le terrorisme. Tous trois rejettent catégoriquement l'islam politique. 

Le ministre tunisien des Affaires étrangères, Othman Al-Jarandi, a adopté cette ligne et a cherché à rassurer ses voisins régionaux. Al-Jarandi a eu une série de conversations téléphoniques avec les autorités saoudiennes, émiraties et koweïtiennes, entre autres. L'objectif du diplomate était d'envoyer un message de calme et de gagner le soutien de ses partenaires.

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Pour sa part, le Haut représentant de l'UE pour la politique étrangère, Josep Borrell, a souligné dans une déclaration au nom des Vingt-sept que les racines démocratiques, telles que le respect de l'État de droit et de la Constitution, doivent être préservées à tout prix, tout en tenant compte des demandes de la société tunisienne. Une société qui semble exiger des vents de changement.

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