La lutte des avocats pour l'indépendance se poursuit en Turquie
La dérive autoritaire et la répression politique dont sont victimes des dizaines d'avocats, de journalistes et d'universitaires depuis la réforme constitutionnelle de 2017 ont mis en péril les droits et libertés des citoyens turcs et transformé l'équilibre des pouvoirs. Le référendum de 2017 en Turquie a complètement changé l'histoire du pays. La réforme constitutionnelle qui a été approuvée de justesse par les citoyens ce jour-là a transformé le système parlementaire de l'époque en un système présidentiel, dans lequel Erdogan, en tant qu'"homme fort" du pays, a le pouvoir de contrôler les trois branches du gouvernement.
En Turquie, le pouvoir judiciaire est constitué d'un système de juridictions inférieures, de la Cour d'appel nationale et de la Cour constitutionnelle. Ce dernier traite de toutes les questions liées à la compatibilité des lois et des actes administratifs avec la Constitution. Toutefois, dans certains cas, elle a également le pouvoir d'agir comme une Haute Cour.
Ce coup de force vise à accroître de manière exponentielle l'ingérence du gouvernement dans la profession juridique afin d'influencer cette branche importante du système juridique national. Cette situation a suscité des protestations de la part des avocats, dont la plus récente est celle du barreau d'Izmir, dans l'ouest de la Turquie, où ils ont organisé un sit-in et publié une déclaration commune, appelant l'exécutif à abroger un projet de loi qui met en péril l'efficacité et l'indépendance des institutions. Ils ont également demandé au régime de mettre fin aux attaques contre les membres de la profession.
Pendant ce temps, les avocats turcs continuent de manifester contre le projet de loi présenté par le parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP), qui vise à décentraliser les barreaux en créant des associations alternatives dans les grandes enclaves comme Istanbul, Ankara et Izmir, où près de la moitié des avocats du pays sont enregistrés. Parallèlement à la décentralisation susmentionnée, le texte juridique promu par l'AKP au Parlement turc vise également à modifier le système électoral du conseil exécutif des différentes associations d'avocats en Turquie afin de briser l'hégémonie des trois plus grandes organisations pour que les nouvelles entités qui veulent s'intégrer aient un poids plus important dans les corporations d'avocats.
Le manque de confiance dans les juges et les procureurs fidèles au gouvernement d'Erdogan et l'emprisonnement continu des avocats font que ceux qui veulent élever la voix et montrer leur opinion doivent payer un prix élevé. Après le coup d'État manqué de 2016, de plus en plus d'avocats et de militants s'accordent à dire que la pratique consistant à changer de juge pendant un procès est très courante. Les avocats y voient un moyen d'exercer un contrôle sur les tribunaux. Le président de l'association du barreau d'Istanbul, Mehmet Durakoglu, prévient qu'en utilisant le système judiciaire comme un outil politique pour juger ses opposants, le gouvernement d'Erdogan "a réalisé ce qu'il ne pouvait pas faire par des moyens politiques" à travers les élections.
Près de quatre ans après ce coup d'État, plus de 91 000 personnes ont été emprisonnées et environ 150 000 personnes ont été licenciées pour des liens présumés avec Fethullah Gülen. Les arrestations n'ont pas cessé. Par exemple, la police turque a lancé en février une opération visant à arrêter plus de 700 personnes, dont des fonctionnaires et des militaires, susceptibles d'avoir des liens avec le mouvement du prédicateur islamiste Fethullah Gülen (FETÖ). Et avec l'arrivée de la pandémie de coronavirus, la réponse du gouvernement va dans le même sens.
Depuis ce coup d'État manqué, les autorités turques lancent régulièrement des campagnes d'arrestations sous le prétexte d'anéantir la communauté Gülen, ce qui est paradoxal puisque le religieux a été un grand allié d'Erdogan durant ses premières années au pouvoir. Cette purge a mis en péril l'impartialité et le système judiciaire de la Turquie. Le président de la Cour suprême d'appel de Turquie, Ismail Rustu Cirit, estime que l'une des principales conséquences est le manque de juges et de procureurs expérimentés, a-t-il déclaré à l'agence de presse Reuters. En outre, l'absence de personnel spécialisé et les arrestations constantes ont augmenté la charge de travail du système judiciaire turc.
Le président Erdogan a trouvé dans le système judiciaire un instrument de contrôle du pouvoir. Les milliers de juges et de procureurs qui ont été limogés depuis le coup d'État manqué ont été remplacés par de jeunes diplômés récents ayant peu ou pas d'expérience. Au moins 45 % des quelque 21 000 juges et procureurs turcs ont désormais trois ans d'expérience ou moins, selon les estimations fournies par l'agence de presse Reuters sur la base des données du ministère de la justice.