Le Captagon a transformé la Syrie en un narco-État après plus d'une décennie de guerre

Au milieu des guerres ou des épisodes d'instabilité, les mafias voient l'occasion de développer des activités illégales, qu'il s'agisse de trafic d'êtres humains, d'armes ou de drogue. En 2018 déjà, l'ONU avait prévenu que l'insécurité et les conflits armés au Moyen-Orient avaient entraîné une "augmentation significative du trafic et de la consommation de drogues" dans la région.
La Syrie ne fait pas exception. Après 11 ans de guerre, le pays arabe est devenu un narco-État en raison de la production, du trafic et de l'exportation de captagon. Surnommée la "drogue des djihadistes" car elle est l'une des sources de revenus de Daesh, elle représente les plus importantes exportations de la Syrie, dépassant toutes les exportations légales du pays réunies, selon les données recueillies par l'AFP. L'agence de presse note également que les revenus du trafic de captagon pourraient s'élever à 10 milliards de dollars.

Le Captagon - nom commercial de la fénétylline - était utilisé comme antidépresseur dans les pays occidentaux, mais lorsque son fort potentiel de dépendance a été démontré, il a été interdit. La fénétylline était également utilisée comme médicament pour les enfants souffrant d'hyperactivité. Les effets secondaires possibles sont la dépression chronique, la vision floue et les problèmes cardiovasculaires.
Comme l'a déclaré à la BBC Caroline Rose, chercheuse au Newslines Institute for Policy and Strategy, "le captagon est devenu la principale source de revenus du gouvernement syrien". Rose souligne que des proches du président syrien Bachar al-Assad, comme son frère cadet, Maher al-Assad, sont à l'origine de ce commerce. Les autorités de Damas, pour leur part, ont démenti à de nombreuses reprises ces accusations.

En fait, le gouvernement affirme qu'il "joue un rôle important dans le soutien des efforts de la communauté internationale pour combattre la criminalité en général, et en particulier la lutte contre le trafic de drogue". Le ministre de l'Intérieur, Muhammad al-Rahmoun, a toutefois admis au média d'État Athrpress qu'en raison de sa situation géographique, le pays était "un pays de transit".

Des enquêtes menées par des médias tels que le New York Times et le Guardian, ainsi que par des organisations enquêtant sur le trafic de drogue, ont établi un lien entre le gouvernement syrien et la drogue et son trafic. Selon le Centre d'analyse et de recherche opérationnelles (COAR), l'absence d'activité économique conventionnelle due à la guerre a accru "l'attrait de la spéculation sur la drogue à l'échelle industrielle, qui a été saisie et largement contrôlée par des narco-entrepreneurs liés au régime Assad et à des alliés étrangers".

En fait, selon Ian Larson, un analyste du COAR - cité par la BBC - les zones où la production de captagon est la plus élevée "sont les régions contrôlées par le régime d'Al-Assad et ses proches parents". Parmi les zones les plus critiques figurent les provinces méridionales de Sweida et de Daraa, qui bordent la Jordanie. Tous deux font partie des routes vers l'Arabie saoudite et abritent de nombreux laboratoires de drogue.
Rami Abdel Rahman, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme, est d'accord avec ces rapports. "Maher al-Assad est l'un des principaux bénéficiaires du commerce du captagon", dit-il.

La Syrie est devenue un centre de production de captagon qui s'étend à des pays de la région comme le Liban - où le Hezbollah jouerait un rôle important dans la protection du trafic à la frontière -, l'Irak et la Turquie, et même aux pays du Golfe, comme l'Arabie saoudite, le plus grand consommateur de cette drogue.

Dans le royaume, le captagon est associé aux fêtes, bien qu'il soit également consommé par les classes sociales inférieures de la population, comme les travailleurs immigrés. "Je peux travailler pendant deux ou trois jours sans m'arrêter, ce qui a doublé mes revenus et m'aide à rembourser mes dettes", explique à l'AFP un jeune de 20 ans qui dépense 150 rials par semaine en pilules.

Certains travailleurs ont même accusé leurs propres patrons de les rendre accros à cette drogue. Un ouvrier égyptien du bâtiment raconte à l'agence de presse que son patron en mettait dans son café pour qu'ils travaillent plus vite et plus longtemps. "Nous avons fini par devenir dépendants", ajoute-t-il.

Rien que l'année dernière, les autorités saoudiennes ont confisqué 119 millions de pilules de captagon, mais des milliers de doses sont saisies chaque semaine, souvent dissimulées dans des matériaux de construction, des caisses de fruits ou des boîtes de conserve.