Le changement brutal des relations entre la Libye et le Qatar
Aguilah Saleh Issa, le président du parlement libyen de Tobrouk - parallèle à l'autorité d'Abdul Hamid Dbeibé à Tripoli - s'est rendu ce week-end dans la capitale qatarie, Doha, pour sa première visite officielle dans le petit pays du Golfe. Ce voyage pourrait marquer un revirement dans les relations qatario-libyennes après des années d'accusations de "soutien à des groupes terroristes [dans le pays d'Afrique du Nord]", comme l'a affirmé Saleh en 2014 et 2015.
" Le président de la Chambre des représentants libyenne a informé l'émir du Qatar, [Tamim bin Hamad Al Thani], des derniers développements de la situation en Libye, tout en exprimant ses remerciements et sa reconnaissance pour le soutien continu de l'État du Qatar à l'État libyen et à son peuple ", indique un communiqué de l'Amiri Diwan - le siège du gouvernement qatari - à propos de la rencontre entre Saleh et Al Thani. Cela met en lumière le changement évident de la position de la Libye.
رئيس مجلس النواب يلتقي أمير دولة قطر https://t.co/XQymi3IZoO
— مجلس النواب الليبي (@parliament_ly) September 11, 2022
La délégation de l'État nord-africain, conduite par le chef du parlement, a atterri au Qatar samedi dernier après avoir reçu une invitation du ministre qatari des Affaires étrangères, Mohamed bin Adbulrahman, afin de "rapprocher les points de vue des deux parties", a expliqué le législateur libyen Abdel-Men'em Al-Arfy à l'agence de presse turque Anadolu. Accueillis par Hassan bin Abdullah Al Ghanim, président du Conseil de la Choura qatarie, l'ambassadeur libyen à Doha, Mohammed Mustafa Al Lafi, et d'autres hauts responsables qataris, Saleh et son entourage ont été conduits à l'Amiri Diwan.
"Au cours de la réunion, ils ont discuté de divers aspects du développement et du renforcement de la coopération entre les deux pays, et ont abordé l'évolution de la situation actuelle en Libye, en plus d'un certain nombre de questions régionales et internationales", ajoute le communiqué.
"Le Qatar est le seul pays qui soutient les groupes terroristes en Libye", dénonçait Aguilah Saleh en 2014, quelques années après la chute du dictateur Mouammar Kadhafi dans le cadre du Printemps arabe (2011). Un événement qui a été profondément influencé par le rôle d'un Qatar qui ouvrait une nouvelle feuille de route dans sa politique étrangère et régionale : l'utilisation sans précédent d'un soutien politique, militaire et économique, à la fois direct et indirect.
"Tout le peuple libyen est convaincu que le Qatar est l'État qui soutient le terrorisme. Son soutien à la révolution du 17 février [2011] était un bon positionnement, mais au final, il s'est avéré que ce n'était pas pour le bien de la Libye, mais pour celui des terroristes", a-t-il ajouté, faisant également référence au soutien qatari au maréchal Khalifa Haftar et aux groupes opposés au parlement libyen basé à Tobrouk, dans l'est du pays. "Elle est liée aux États-Unis et ne veut pas que la Libye redevienne ce qu'elle était. Elle abrite et soutient le programme des Frères musulmans.
Toutefois, selon plusieurs analystes politiques consultés par Al Arab, le pragmatisme du Qatar, qui envisage des négociations ouvertes à toutes les parties au conflit libyen, semble le rapprocher du pays d'Afrique du Nord. Le Qatar est un pays important dans la région en tant que porte d'entrée du continent africain et un producteur de pétrole - membre de l'OPEP - dont l'importance s'est traduite par l'accueil personnel de Saleh par l'Emir Al Thani.
"Le Qatar fait partie du Conseil de coopération du Golfe. Nous devons parvenir à un accord avec elle et tourner la page des différends passés", a déclaré le député Abdel-Men'em Al-Arfy.
En ce sens, l'une des raisons qui pourraient motiver le changement diplomatique d'Aguilah Saleh pourrait être l'influence - de plus en plus consolidée - de la Turquie sur l'échiquier libyen. Ces dernières semaines, les Qataris ont contredit les propositions d'Ankara visant à mettre fin au conflit libyen, qui dure depuis plus de 11 ans, depuis le renversement du dictateur Kadhafi.
Face au désintérêt progressif de la communauté internationale pour le pays nord-africain, la Turquie a renforcé sa position dans le processus de médiation libyen afin, au-delà de l'arrêt de la crise - et selon l'analyste de l'IEEE (Institut espagnol d'études stratégiques) - d'étendre son influence dans la région, d'accroître son importance sur le continent africain et de limiter la concurrence régionale de l'Égypte. Une situation que, selon les observateurs, Saleh a l'intention d'empêcher par l'entrée de Doha dans les processus de médiation, en adoptant un dialogue national qui inclut toutes les parties impliquées, et qui ne penche pas vers les alliés turcs.
En effet, non seulement Abdul Hamid Dbeibé - dont la Turquie a été un fervent soutien - mais aussi le chef de gouvernement nommé unilatéralement par le parlement de Tobrouk, Fathi Bashagha, proche d'Ankara lors de la première bataille de Tripoli en 2019, et le maréchal Khalifa Haftar, commandant de l'Armée nationale libyenne (ANL), ont tous entretenu (ou entretiennent) des liens avec le gouvernement d'Erdogan.
La visite d'Aguilah Saleh à Doha intervient peu après le voyage du Premier ministre et leader du GNU, Dbeibé, dans la capitale qatarie, où le chef du gouvernement de Tripoli et l'émir al-Thani ont discuté du "soutien aux efforts internationaux" visant à organiser de nouvelles élections en Libye.