La crise au Liban s'aggrave de jour en jour. A la vacance du pouvoir consécutive à la fin du mandat de Michel Aoun et à la crise économique et sociale s'ajoute un nouvel épisode au niveau judiciaire. L'enquête sur l'explosion de Beyrouth qui a fait 200 morts et 6 500 blessés en 2020 a subi un nouveau revers. Le procureur général du Liban, Ghassan Oueidat, a libéré toutes les personnes détenues dans cette affaire, une décision applaudie par le Hezbollah.
La décision du procureur a rendu furieuses les familles des victimes de l'explosion qui ont vu cette enquête entravée depuis le jour où elle a commencé. Les hauts et les bas judiciaires - avec des connotations politiques importantes - ont suscité beaucoup d'irritation dans l'opinion publique et des appels à la responsabilité. Le juge chargé de l'enquête, Tarek Bitar, a récemment repris le processus qui avait été suspendu pendant plus d'un an. La décision de poursuivre des personnalités influentes de la société libanaise, dont Oueidat lui-même, n'a pas été bien accueillie par les institutions, ce qui a conduit le pouvoir judiciaire à critiquer publiquement le juge.

En contrepartie, le procureur général a ordonné la libération de toutes les personnes arrêtées dans l'affaire, soit 17 au total. La notification de Oueidat indique que "nous avons décidé de libérer, sans exception, toutes les personnes arrêtées dans l'affaire de l'explosion du port de Beyrouth et de leur interdire de voyager, en les mettant à la disposition du Conseil judiciaire au cas où il se réunirait et en informant qui de droit". Cette nouvelle a été applaudie par le représentant du Hezbollah, Ibrahim al-Musawi, qui a qualifié cette décision de "pas sur la bonne voie pour rétablir la confiance dans les juges après qu'elle ait été démolie par certains membres du pouvoir judiciaire".

Les propos d'Al-Musawi visent directement Bitar, qui a déjà été accusé de partialité et de politisation suite à sa tentative d'interroger certains membres du parti. La bataille du juge, non seulement avec le Hezbollah, mais aussi avec l'ensemble du parlement libanais, a entravé l'enquête qui, deux ans et demi plus tard, n'avance pas. Tarek Bitar a demandé à l'ancien Parlement de lever l'immunité des anciens ministres affiliés au Hezbollah "en vue de la poursuite et de l'ouverture de procédures à leur encontre" pour le probable "crime de tentative de meurtre et de négligence".
Selon le juge, en étant conscient de l'existence du nitrate d'ammonium et en ne prenant pas de mesures pour empêcher une éventuelle explosion - ce qui s'est finalement produit - il pourrait être coupable de ces infractions. Cependant, le Parlement a refusé de lever l'immunité des anciens ministres et ils n'ont pas pu être interrogés. Les agents de sécurité n'ont pas non plus pu être interrogés en raison du refus du ministère de l'Intérieur. En outre, les forces de sécurité de l'État ont refusé d'exécuter les mandats d'arrêt, ce qui constitue un nouveau chapitre de ce que les observateurs décrivent comme la culture de l'" impunité " à laquelle le Liban est historiquement lié.

Les ingérences politiques répétées dans le processus judiciaire ont depuis longtemps entamé la patience des victimes qui manifestent dans les rues pour exiger un processus équitable et transparent. Mais tout semble indiquer que leurs revendications sont plus proches d'une utopie que d'un avenir proche. La libération des détenus reflète le fait que l'intention de découvrir les responsables est inexistante et que l'enquête, bien qu'elle ait repris après un an de suspension, continuera d'être entravée comme avant sa paralysie. Cela aggrave une crise qui fait suite à la crise économique et sociale que traverse le pays.
Depuis le début de la crise financière au Liban, la livre libanaise a perdu 97 % de sa valeur, avec une forte baisse la semaine dernière. En moins de sept jours, la monnaie a perdu 13 % de sa valeur, atteignant un taux de change de 57 000 livres pour un dollar mercredi matin. Cette nouvelle chute a suscité de nouvelles protestations de la part d'une société qui souffre depuis que le pays a commencé à connaître une pénurie de dollars. Comme le rapporte l'agence de presse nationale libanaise, les manifestants ont bloqué plusieurs routes à travers le pays.

Plus de 80 % de la population libanaise se trouve sous le seuil de pauvreté, un chiffre considérablement aggravé par la hausse exponentielle de l'inflation au cours de l'année écoulée. Rien qu'en 2022, l'inflation a augmenté de 171 %, l'une des plus élevées depuis quatre décennies, selon les chiffres de l'administration centrale des statistiques publiés ce mois-ci. À cela s'ajoutent les nouveaux prix des carburants annoncés par le ministère de l'Énergie, qui ont entraîné une fermeture massive des stations-service et de longues files d'attente dans les quelques stations ouvertes normalement.