Le projet démarre avec deux ans de retard en raison de différends entre les industries et du retard des investissements engagés par Madrid

L'Espagne s'associe à l'Allemagne, la France et l'Italie pour construire le plus grand drone militaire d'Europe

photo_camera PHOTO/Messe Berlín GmbH - Maquette grandeur nature de l'EuroMALE exposée au salon aéronautique de Berlin en avril 2018. À l'époque, la conception était presque finalisée, mais pas les divergences industrielles dans le partage de la charge de travail.

Les ministres de la défense d'Allemagne, de France et d'Italie ont poussé un soupir de soulagement lorsqu'ils ont reçu la confirmation que le Conseil des ministres présidé par Pedro Sanchez avait accepté d'autoriser un investissement de 1,75 milliard d'euros, la part de l'Espagne, pour développer, fabriquer et acheter quatre systèmes complets pour l'EuroMALE, qui sera le plus grand avion militaire sans pilote d'Europe.

La nouvelle ministre allemande de la défense, Christine Lambrecht, la ministre française chevronnée, Florence Parly, et l'Italien Lorenzo Guerini attendaient que le gouvernement de coalition PSOE-Podemos respecte enfin l'engagement exprimé à plusieurs reprises par la ministre de la défense, Margarita Robles, et sa secrétaire d'État, Esperanza Casteleiro. 

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La nouvelle a été accueillie avec une grande satisfaction par les dirigeants des trois grandes sociétés commerciales chargées de faire de l'avion et de toutes ses technologies sophistiquées à bord et au sol une réalité : l'Allemand Mike Schoellhorn, qui dirige depuis le 1er juillet Airbus Defence & Space ; Eric Trappier, qui dirige le constructeur aéronautique français Dassault Aviation ; et l'Italien Alessandro Profumo, qui dirige Leonardo, le conglomérat italien de l'aérospatiale, de l'électronique et de la défense.

Malgré les informations alambiquées et maigres fournies par le Secrétariat d'État à la communication à l'issue du Conseil des ministres du 25 janvier, le projet EuroMALE est de la plus haute importance pour le démarrage de l'autonomie stratégique européenne tant prônée par Bruxelles. 

Également connu sous le nom d'EuroDron, EuroMALE est un système aérien piloté à distance - c'est-à-dire sans pilote - qui vise à devenir le premier et le plus grand drone militaire stratégique opérationnel jamais développé en Europe. Avec ses 16 mètres de long, soit un peu plus qu'un autocar à trois essieux, il est conçu pour effectuer des missions discrètes de reconnaissance, de surveillance et d'acquisition d'objectifs, connues dans le jargon militaire sous le nom de missions ISTAR. 

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Des vols sans escale 24 heures sur 24

Le projet a été lancé en septembre 2016 avec la participation de l'armée de l'air espagnole. "Nous avons vu l'opportunité de rejoindre les forces aériennes allemandes, françaises et italiennes dans la phase de décollage de l'initiative et nous n'avons pas hésité", confirment des sources proches du programme. L'Espagne était donc sur un pied d'égalité pour définir les paramètres d'un nouveau vecteur de surveillance aérienne sophistiqué comportant trois composantes : la composante de vol - l'avion sans pilote -, les technologies d'observation et de détection embarquées, et le segment terrestre, qui contrôle, reçoit et déchiffre les données captées par les capteurs à bord de l'avion.

La première étape a été franchie par les états-majors des quatre armées de l'air, qui ont défini les besoins du futur MALE, acronyme de Medium Altitude Long Endurance (MALE). Par exemple, l'avion doit avoir l'autonomie nécessaire pour rester en l'air pendant 24 heures dans n'importe quelles conditions atmosphériques ; il doit pouvoir décoller et atterrir automatiquement ; il doit pouvoir atteindre un plafond de service de 45 000 pieds (13 700 mètres). Il doit également pouvoir accueillir différents systèmes d'armes sous ses ailes, ce que l'Allemagne a exclu pour l'instant.

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Les quatre ministères de la défense et leurs industries de référence ont ensuite entamé une phase de définition de deux ans, qui s'est achevée fin novembre 2018 et a permis de clarifier plusieurs aspects. La première, imposée par l'Allemagne, était que l'avion devait être propulsé par des turbopropulseurs et non par des turbines à réaction. Deuxièmement, sa masse maximale au décollage doit être de l'ordre de 11 tonnes.

Et troisièmement, la capacité de charge utile d'EuroMALE est de 2,3 tonnes, ce qui est suffisant pour accueillir des caméras électro-optiques dans les spectres visible et infrarouge, des instruments de géolocalisation, un radar à ouverture synthétique miniaturisé, un système de traitement du signal embarqué et, bien sûr, des communications par satellite. Sa capacité de survie en territoire hostile ou à proximité sera assurée par un équipement de guerre électronique avancé. L'entreprise allemande Hensoldt, l'entreprise française Thales, l'entreprise italienne Elettronica et l'entreprise espagnole Indra sont impliquées. 

Les industries ont convenu que l'Allemagne serait le pays chef de file de l'EuroMALE, avec une contribution financière de 31 % du total, tandis que celle de la France, de l'Italie et de l'Espagne est limitée à 23 %. Ils ont également convenu qu'Airbus Defence and Space GmbH serait le maître d'œuvre du projet, qu'il y aurait une seule chaîne de production d'avions et que ceux-ci seraient construits dans la grande usine Airbus de Manching, à quelque 70 kilomètres au nord de Munich. Ces décisions ont été prises après que les deux parties aient résolu leurs graves désaccords sur la répartition des responsabilités et des charges de travail. 

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Le premier arrivera en 2027 et sera destiné à la Luftwaffe.

Un autre accord conclu est que le développement et la production du projet seront gérés par l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, l'OCCAR. Et que l'avion EuroMALE doit obtenir une certification de navigabilité et une intégration dans un espace aérien non ségrégué, qui doivent être approuvées par l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) de l'Union européenne.

Sur le plan économico-financier, l'Allemagne, la France et l'Italie attendent depuis de nombreux mois que le gouvernement espagnol mette sur la table l'argent de sa contribution, étape préalable à la signature de l'accord de gouvernance et du contrat avec les industries. Mais en février 2021, le ministère de la défense de Margarita Robles a informé ses partenaires qu'il ne disposait pas du budget nécessaire et qu'il devait attendre de recevoir les fonds du plan de relance européen avant de s'engager dans le projet. 

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Entre-temps, Paris, Rome et Berlin ont approuvé leurs investissements. Ainsi, en avril, le Bundestag a donné son accord à la contribution allemande de 3,1 milliards d'euros pour 21 avions, 12 stations de contrôle et 4 simulateurs. Le fait qu'EuroMALE soit dirigé par l'Allemagne et que le principal contractant du projet industriel soit Airbus Defence and Space GmbH a facilité l'approbation de la Chambre basse allemande.

Paris prévoit de dépenser environ 2 milliards pour l'achat de 12 drones et de 4 centres de contrôle, tandis que Rome finance l'achat de 15 drones et de 5 segments terrestres à hauteur de 1,9 milliard. Madrid vient d'approuver un montant légèrement inférieur à celui de l'Italie, à savoir 1,75 milliard d'euros, dont 1,43 milliard sera fourni par le ministère de l'industrie. Au total, les quatre pays se sont engagés à acquérir un total de 63 drones et 21 segments terrestres pour le contrôle des aéronefs et la réception des données.

Les contrats devraient être signés dans quelques mois, ce qui devrait conduire au développement et à la fabrication ultérieure de l'avion, des équipements et des moteurs. Selon les prévisions actuelles, Airbus devrait livrer le premier appareil EuroMALE à la Luftwaffe en 2027 et à l'armée de l'air française en 2028. 

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Une guerre souterraine est sur le point de se dérouler pour les moteurs qui équiperont les EuroMALE. Il oppose l'italien Avio, qui propose le nouveau moteur Catalyst de General Electric, au nouveau moteur Ardiden 3TP du français Safran Helicopter Engines, qui dirige une équipe composée de l'allemand ZF, de l'italien Piaggio Aerospace et de l'espagnol ITP Aero. Les enjeux restent élevés.
 

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