Camionneurs de tous les pays, unissez-vous !
Au Canada, les camionneurs se sont révoltés, passant de la Colombie-Britannique (côte Pacifique) à Ottawa, où le convoi dit de la liberté a paralysé la capitale fédérale, au milieu des sifflets et des embouteillages qui en résultent. La raison de leur colère réside dans les nouvelles exigences imposées aux conducteurs de camions qui traversent quotidiennement la frontière avec les États-Unis.
Cette exigence, qui avait été annoncée en novembre, a été initialement levée - à tort, selon le gouvernement - par l'Agence des services frontaliers, mais elle est entrée en vigueur le 15 janvier. Elle impose deux obligations aux camionneurs non vaccinés : ils sont tenus de passer un test COVID-19 à leur retour dans le pays, après quoi ils doivent être mis en quarantaine pendant 10 jours. Compte tenu de la fréquence des mouvements transfrontaliers, cela équivaut à un isolement permanent pour les personnes non vaccinées.
Il est difficile de dire combien de manifestants il y a : certains parlent de 250 000, mais la police de Toronto, observant les camions se dirigeant vers Ottawa, a avancé le chiffre de 50 000, ce qui a été contesté jusqu'à présent par PolitiFact, un site web américain à fort parti pris démocrate.
Quoi qu'il en soit, les manifestants ont recueilli un soutien massif : par le biais de la plateforme de dons GoFundMe, qui a ensuite suspendu la campagne, ils ont récolté 10 millions de dollars canadiens (7,9 millions de dollars américains), et le Parti conservateur (opposition), en plein virage à droite, a jugé bon de mettre en cause le Premier ministre libéral Trudeau, qui s'est réfugié dans un "endroit secret" alors que les camionneurs entraient dans la capitale, pour dire qu'il avait du COVID-19.
Le Canada est le deuxième plus grand pays du monde, mais 66 % de sa population réside dans un rayon de 100 kilomètres de la frontière sud, c'est-à-dire qu'une supermajorité n'occupe que 4 % du territoire. Les États-Unis sont bien sûr son principal partenaire commercial, notamment dans le domaine agricole, et les supermarchés canadiens sont approvisionnés en produits américains ; en effet, le Canada a importé pour 24 milliards de dollars de produits agricoles américains (2019). Le pays, grand exportateur de bétail sur pied, accuse un déficit commercial dans le domaine des aliments transformés.
Les camionneurs, qui accusent le gouvernement d'aggraver les pénuries de produits, ont également tenté de manifester à la frontière. Ils ont raison : 10 à 20 % (12 000 à 20 000) des camionneurs canadiens ne sont pas vaccinés ; il en va de même pour 40 % (16 000) des camionneurs américains qui traversent la frontière, sauf que la nouvelle réglementation leur interdit d'entrer au Canada.
Cela peut sembler une affaire provinciale - peu d'entre nous pensent au Canada, avouons-le - mais la relation commerciale entre les États-Unis et le Canada est l'une des plus importantes au monde, avec un volume de 718,4 milliards de dollars (2019). Il y a aussi l'autre membre du T-MEC (successeur de l'ALENA) : le Mexique. Le Canada est, après les États-Unis, le principal marché pour ses exportations. Même en 2020, une année compliquée par la pandémie et l'entrée en vigueur du nouveau traité, le volume des échanges s'est élevé à 36 milliards de dollars.
Le camionneur nord-américain, qu'il soit américain ou canadien, occupe un lien étrange. Il est manifestement issu de la classe ouvrière, et son travail, compliqué par la nécessité de traverser fréquemment la largeur d'un continent, est sans aucun doute ardu. Néanmoins, il est un excellent exemple du travailleur prospère, du koulak de ce siècle : les plus performants peuvent même aspirer à 100 000 dollars canadiens.
Ils votent également en bloc : les provinces des Prairies - Alberta, Manitoba et Saskatchewan - comptent le plus de camionneurs par habitant, et toutes sont gouvernées par des partis conservateurs régionaux. La politique idiosyncratique du Canada se caractérise par l'absence de pouvoir des partis fédéraux au niveau provincial, mais les sympathies s'étendent jusqu'au Parlement à Ottawa.
L'Alberta, la plus grande des régions susmentionnées, est riche en pétrole et est sans doute la région la plus conservatrice du pays ; comme le Texas, elle a des velléités séparatistes. En effet, la stratégie des interminables convois de camions a déjà été déployée en 2019, lorsqu'elle a été utilisée pour protester contre le refus d'Ottawa de construire des pipelines.
Tout cela rappelle les manifestations brésiliennes de septembre 2021, aujourd'hui oubliées. Dans ce cas, les camionneurs se sont mobilisés en faveur du président Bolsonaro, qui faisait alors l'objet d'une enquête de la Cour suprême ; ils ont participé à au moins 110 blocages dans 14 États brésiliens et n'ont pas cédé jusqu'à ce que Bolsonaro leur demande de cesser.
Au Brésil, où le transport intérieur est coûteux, 60 % des marchandises sont transportées par la route. De plus, les 696 000 camionneurs du pays n'hésitent pas à déclencher des grèves ; en 2018, le port de Santos - le plus fréquenté d'Amérique latine - a été secoué par l'une d'entre elles, causant au port des pertes de 1,5 milliard de reais (400 millions de dollars à l'époque) en seulement 11 jours.
On note, non sans malice, que, sur tout le continent, les convois de camions s'avèrent être une méthode de protestation efficace. En attendant, les camionneurs confirment à la fois leur nouveau rôle de marteaux de la droite et leur importance économique. Sans eux, le fonctionnement des chaînes d'approvisionnement est inconcevable, surtout chez les géants américains.
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