Avis

Corée du Nord : un régime désespéré et une administration américaine faible ?

photo_camera corea del norte

La Corée du Nord a tiré au moins deux missiles balistiques depuis sa côte ouest vendredi dernier, le 14 janvier, le troisième lancement en moins de deux semaines, après avoir averti d'une réponse forte aux récentes sanctions américaines contre le régime de Pyongyang. Si certains considèrent ces manœuvres comme faisant partie des exercices d'hiver de l'armée nord-coréenne, il faut en réalité y voir un message adressé aux États-Unis.

Le commandement indo-pacifique de l'armée américaine a déclaré que, même s'il ne pensait pas que le lancement représentait une menace immédiate pour les États-Unis ou leurs alliés, il mettait en évidence l'impact déstabilisant du programme d'armement illicite de la Corée du Nord. De son côté, la Corée du Nord défend ses tirs de missiles comme un droit légitime d'autodéfense, tout en affirmant que les États-Unis aggravent intentionnellement la situation en imposant de nouvelles sanctions à son encontre. 

Au-delà d'une démonstration de force contre le président Joe Biden et ses alliés - en premier lieu la Corée du Sud - ces trois tirs de missiles semblent être un moyen de détourner l'attention de la population nord-coréenne des difficultés domestiques croissantes et, en particulier, des pénuries alimentaires.

Cependant, l'exemple des manifestations dans les rues du Kazakhstan contre l'augmentation excessive du prix des ressources énergétiques montre que tout régime, aussi dur et totalitaire soit-il, résiste mal à la colère d'un peuple qui a faim ou froid. À cet égard, lors de son discours du 1er janvier, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a choisi de souligner l'importance de lutter contre les pénuries alimentaires tout en continuant à renforcer sa défense. En outre, la pression sur son économie en difficulté a été accrue par les fermetures strictes des frontières ordonnées pour lutter contre la pandémie de coronavirus.

Le premier des trois tirs de missiles a précédé de quelques heures l'inauguration par le président sud-coréen Moon Jae-in de la construction d'une voie ferrée dans l'est de la Corée du Sud, première étape de l'établissement d'une liaison ferroviaire entre les deux Corées, dans le but de se connecter au Transsibérien. Ce projet était l'un des engagements pris à l'issue de la rencontre inédite de 2018 entre Moon et le dirigeant du Nord Kim Jong-un pour relancer le dialogue intercoréen.

Le renforcement des relations intercoréennes reste une priorité pour le dirigeant sud-coréen, qui approche de la fin de son mandat en mai. Malgré un intermède 2018-2019 ponctué de plusieurs rencontres avec Kim Jong-Un, les efforts n'ont pas permis de réelles avancées. Son désir de déclarer officiellement la fin de la guerre de Corée (1950-1953) - interrompue par un simple armistice - s'est heurté à l'intransigeance de Pyongyang, qui affirme être d'accord sur le principe mais exige la fin de la "politique hostile" des États-Unis.

De son côté, Washington a condamné le tir de missile, tout en réitérant son "engagement en faveur d'une approche diplomatique" à l'égard de la Corée du Nord, qu'elle appelle au "dialogue". Un discours qui est répété à chaque lancement de missile - sept lancements en 2021 - par une administration américaine qui semble avoir d'autres priorités. Les négociations entre les États-Unis et la Corée du Nord sont au point mort depuis l'échec du sommet de Hanoi de 2019 entre Kim Jong-un et Donald Trump.

Enfin, le régime nord-coréen, avec une certaine rationalité, ne se considère pas en position de faiblesse vis-à-vis de la Maison Blanche. Tout d'abord, Kim Jong-un pense qu'il ne pourra pas obtenir de meilleurs résultats par la négociation que lorsqu'il disposera d'une dissuasion nucléaire opérationnelle.

Deuxièmement, son régime a fait le pari que ses essais balistiques ne suffiraient pas à déclencher une intervention américaine. Cependant, il n'est pas certain que Pyongyang gère de manière adéquate le risque d'une escalade accidentelle. L'hypothèse d'une frappe américaine en réponse à un lancement de missile ne peut être totalement exclue, car Joe Biden doit donner des assurances à ses alliés asiatiques. Un tel scénario aurait de graves conséquences, surtout dans un contexte tendu entre l'administration américaine et la Chine, principal soutien de la Corée du Nord.

En définitive, le comportement des Américains fait douter de leur capacité à proposer une feuille de route lisible pour la péninsule coréenne. Organiser une négociation qui fixe à la fois les paramètres techniques d'un accord sur les programmes nucléaire et balistique de la Corée du Nord et les premiers pas vers un retour à la stabilité régionale (condition pour que le "gel de la situation dangereuse" débouche sur une solution à long terme) semble à ce stade irréalisable. Non seulement l'administration américaine est incapable d'orchestrer la stratégie de Biden (si elle en a une comme son prédécesseur), mais la faiblesse géopolitique des États-Unis accentue la perte de confiance de ses alliés régionaux dans la dissuasion étendue. Dans ces conditions, il existe un risque réel que les lancements nord-coréens génèrent une dynamique régionale de prolifération nucléaire.

Frédéric Mertens de Wilmars. Professeur et coordinateur de la licence en relations internationales à l'Université européenne de Valence.

Article précédemment publié dans The Diplomat