Le Parlement turc a prolongé de 18 mois le mandat militaire d'Ankara dans ce pays arabe, alors que les divergences entre Bashagha et Dbeibé continuent de s'aggraver

La Turquie renouvelle son mandat militaire dans une Libye de plus en plus divisée

photo_camera AFP/ADEM ALTAN - Président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan

Le Parlement turc a approuvé mardi la prolongation du mandat des forces armées turques en Libye pour 18 mois supplémentaires, à la demande du président du pays, Recep Tayyip Erdoğan. Le parti du président, l'AKP, son allié nationaliste, le MHP, et le parti d'opposition Iyi ont tous voté pour, permettant ainsi à Ankara de continuer à former et conseiller les forces armées libyennes sur le terrain.

Le texte de la décision stipule que la Turquie continuera d'affirmer "son ferme soutien" à la souveraineté, à l'intégrité territoriale et à l'unité de la Libye, en mettant l'accent sur l'instauration d'un cessez-le-feu permanent, le soutien à un dialogue politique pour parvenir à la réconciliation nationale et la création d'un cadre juridique pour des élections nationales.

AFP/BAKR ALKASEM - Soldados turcos

Le texte déplore également le contexte d'instabilité en Libye. "L'incertitude politique et les problèmes de gestion qui sont apparus à la suite de la non-tenue des élections prévues pour le 24 décembre 2021 [...] mettent en péril le calme établi au prix de grands sacrifices et constituent un obstacle sérieux à la réalisation d'une stabilité permanente", peut-on lire dans le document.

La Libye est en guerre civile depuis 2011, suite à la révolte armée contre Mouammar Kadhafi dans le contexte du printemps arabe. Après la chute du dictateur arabe, les différentes factions rebelles ont commencé à s'affronter pour le pouvoir, ce qui a finalement conduit à une division du pays en deux, entre l'est (Cyrénaïque) et l'ouest (Tripolitaine), avec deux gouvernements parallèles. Entre 2014 et 2020, les forces orientales, dirigées par le maréchal Khalifa Haftar, ont affronté le Gouvernement d'entente nationale reconnu par la communauté internationale, dirigé par Fayez al-Sarraj.

PHOTO/AFP/PRESIDENCIA DE TÚNEZ - Combinación de imágenes de Fayez al-Sarraj y del mariscal libio Jalifa Haftar

En 2019, le Parlement turc a approuvé le déploiement de troupes en Libye pour soutenir Tripoli, alors assiégée par l'armée de Haftar. Dans le même temps, Ankara et Tripoli ont signé un protocole d'accord sur la délimitation maritime, reconnaissant les revendications irresponsables de la Turquie sur les eaux grecques et chypriotes.

Le soutien turc, qui s'est également traduit par l'envoi de mercenaires syriens et la fourniture d'armes, a permis au Gouvernement d'entente nationale, favorable aux Frères musulmans, de chasser Haftar de l'ouest du pays et de mettre les combats dans une impasse, ce qui a conduit à la signature d'un cessez-le-feu "permanent" entre les deux parties. Depuis lors, la Turquie est devenue l'un des principaux acteurs étrangers en Libye.

Par la suite, dans le cadre d'un processus de paix soutenu par l'ONU, les parties ont accepté l'émergence d'un Gouvernement d'unité nationale à Tripoli, avec Abdul Hamid Dbeibé comme Premier ministre. Selon l'accord, des élections présidentielles et parlementaires à l'échelle nationale auraient dû avoir lieu en décembre 2021, mais l'absence de consensus sur le cadre juridique de ces élections les a empêchées de se tenir.

Face à l'impasse politique, le 10 février dernier, la Chambre des représentants, basée dans la ville de Tobrouk, dans l'est du pays, et élue lors des élections législatives de 2014, où l'ouest du pays a connu une faible participation, a proposé de nommer Fathi Bashagha au poste de Premier ministre, une décision rejetée par Dbeibé, qui a refusé de céder son poste.

PHOTO/REUTERS - El exministro del Interior libio, Fathi Bashagha, designado nuevo primer ministro por la Cámara de Representantes

Le 17 mai, Bashagha, qui s'est allié à Haftar, à la Chambre des représentants et à plusieurs milices tripolitaines, est entré dans Tripoli pour s'emparer des institutions gouvernementales du Gouvernement d'union nationale, mais il a été chassé par les troupes loyales à Dbeibé. Depuis lors, Bashagha est basé à Sirte, une ville du centre du pays. Pendant ce temps, ses alliés ont bloqué une partie de la production pétrolière libyenne pour faire pression sur le gouvernement reconnu par la communauté internationale.

Dimanche dernier, les représentants de la Chambre des représentants et du Conseil suprême de l'État, basé à Tripoli et proche de Dbeibé, ne sont pas parvenus à un consensus sur l'établissement du cadre juridique des élections lors d'une réunion organisée au Caire sous l'égide des Nations unies, et la perspective d'une nouvelle division de facto du pays se rapproche de plus en plus.

Ankara, pour sa part, reconnaît officiellement le GNU, bien que Bashagha ait été l'un de ses principaux alliés en Libye depuis 2019, notamment lorsqu'il était ministre de l'Intérieur au sein du gouvernement d'entente nationale.

La Turquie a évité de prendre position en faveur de l'une ou l'autre partie, et la déclaration ne prend pas non plus position. En outre, Ankara a cherché à renforcer ses contacts avec l'est du pays, négligé depuis 2011, en cherchant à rouvrir le consulat turc à Benghazi et les voies aériennes vers la région. À l'avenir, cependant, la proximité de Bashagha avec Haftar, son ennemi acharné dans le pays arabe et allié de la Russie, des Émirats arabes unis et de l'Égypte, pourrait être difficile à assimiler pour le pouvoir sunnite. 

PHOTO/ARCHIVO - El primer ministro interino de Libia, Abdul Hamid Dbeibé

La Turquie d'Erdoğan a été accusée de mener une politique "néo-ottomane" dans son voisinage, cherchant à accroître son influence dans les pays qui faisaient historiquement partie de l'Empire ottoman, et est déjà intervenue militairement, directement ou indirectement, en Syrie, en Irak, en Azerbaïdjan et en Libye, en plus du harcèlement naval de la Grèce et de Chypre.

Toutefois, la mauvaise situation économique du pays, ainsi que la proximité des prochaines élections présidentielles, ont conduit Erdoğan, ces derniers mois, à un rapprochement avec plusieurs de ses rivaux régionaux, notamment Riyad, Abu Dhabi, Tel Aviv et Le Caire, et à une politique étrangère moins agressive dans certains scénarios.  

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