Le secteur privé est une source importante de croissance économique et l'Afrique doit le renforcer.
L'entrepreneuriat en Afrique est un enjeu majeur pour la création d'emplois sur un continent où la croissance de la population en âge de travailler sera la plus forte au monde d'ici 20501. D'où l'importance du dialogue public-privé et le rôle que peuvent jouer les organisations professionnelles pour parvenir à un meilleur environnement commercial, si nécessaire aux Africains aujourd'hui.
Les activités et les investissements du secteur privé sont des sources importantes de croissance économique, de création d'emplois et de développement durable. En moyenne, le secteur privé contribue à plus de 80 % des recettes publiques dans les pays à revenu faible et intermédiaire par le biais des impôts sur les sociétés et les employés. Elle génère plus de 90 % des emplois dans les économies en développement, tant dans l'économie formelle qu'informelle. La plupart des entreprises privées africaines sont petites ; très peu sont moyennes et grandes ("missing middle" et "missing large"). Les petites entreprises sont moins productives que les grandes, en particulier dans le secteur manufacturier, les petites et moyennes entreprises (PME) en Afrique luttent pour survivre et devenir de grandes entreprises, en grande partie en raison de contraintes financièresi (BAD 2019). Malgré cela, les PME sont considérées comme l'épine dorsale des économies africaines, représentant environ 90 % de toutes les entreprises privées et représentant plus de 60 % des emplois dans la plupart des pays africains (ITC, 20182).

L'écart de productivité entre les PME et les grandes entreprises est dû aux secteurs à faible valeur ajoutée et à forte intensité de main-d'œuvre dans lesquels les PME opèrent principalement, ainsi qu'à leur utilisation limitée des technologies et à leur faible participation aux marchés étrangers. Toutefois, comme c'est souvent le cas, les PME qui exportent ou opèrent à l'échelle internationale sont plus productives, contribuent à la création d'emplois mieux rémunérés, en particulier dans les segments de l'économie où les salaires sont bas, et connaissent une croissance de 4 points de pourcentage plus rapide que les PME non exportatrices. (Groupe d'Édimbourg 2013ii)
Le secteur privé en Afrique présente certaines caractéristiques qui le rendent différentiel, notamment :
L'informalité. Les entreprises informelles regroupent l'ensemble des entités productives illégales pour l'État (entreprises non déclarées), l'OMT (Organisation mondiale du travail 2018) estime que cela représente 80% des emplois en Afrique. En comparaison, selon cette organisation, le secteur informel regroupe 65% des emplois en Asie, 40% en Amérique (Nord et Sud) et 25% en Europe. Autre donnée à retenir selon l'OMT : sur les 73 millions d'emplois créés en Afrique entre 2000 et 2008, seuls 16 sont occupés par des jeunes de 15 à 24 ans. Ce groupe d'âge représente 23,5% des 38,1% du nombre total de travailleurs pauvres en Afrique. Près de 16 millions de jeunes étaient au chômage en 2018. Les jeunes accèdent généralement à leur premier emploi par le biais du travail informel, mais la crise déclenchée par le COVID-19 pourrait détruire quelque 20 millions d'emplois sur le continent.

La prépondérance des microentreprisesiii. La part des entreprises de moins de 10 travailleurs en Afrique est de 10 % supérieure à celle des autres pays en développement. L'Afrique manque dans de nombreux cas de moyennes et grandes entreprises.
Les entreprises africaines sont moins productives. En moyenne, un travailleur africain est moins productif qu'un autre travailleur d'une entreprise similaire dans un pays en développement, selon la base de données des enquêtes sur les entreprises de la Banque mondiale. (Source : Casting a Shadow Productivity of Formal Firms and Informality Mohammad Amin Franziska L. Ohnsorge Cedric Okou,2019. Voir la note à la fin du document)
Ce dynamisme fragile du secteur privé a plusieurs causes connues et elles sont : la mauvaise allocation des facteurs de production (capital et travail), le faible niveau d'éducation, la mauvaise qualité des infrastructures (transport, énergie, communications, etc.), en plus l'Etat ne peut pas offrir, parce qu'il en est dépourvu, les biens et services publics nécessaires, ainsi qu'un système réglementaire cohérent et défini. Et dans tout cela, et nous allons maintenant y entrer, la mauvaise gouvernance que nous trouverons dans plusieurs pays africains est largement à blâmer.
Nous sommes ici confrontés à plusieurs définitions. La bonne gouvernance publique pourrait être définie comme la capacité à concevoir et à mettre en pratique des politiques orientées vers l'intérêt collectif. Le concept de bonne gouvernance conduit à la transparence de l'action publique, au contrôle de la corruption, au libre fonctionnement du marché, à la démocratie et à l'État de droit.
Ces termes font partie de toute stratégie nationale de réduction de la pauvreté et sont la clé, dans de nombreux cas, de l'allocation et de la distribution de fonds (financement) provenant des principaux donateurs et financiersiv.

Il convient de noter que les notions d'"afro-pessimisme" en matière de gouvernance sont souvent erronées, car plusieurs pays africains ont considérablement amélioré leur gouvernance au cours de la dernière décennie, comme le Ghana, le Liberia, le Rwanda, l'Angola, l'Éthiopie et la République démocratique du Congo, même s'ils sont souvent partis de zéro ou d'une base très initiale. En tout état de cause, la gouvernance "si elle ne peut être mesurée", comme le disait Lord Kelvin, "elle ne peut être améliorée". https://dataportal.opendataforafrica.org/lfkgixg/governance
Les problèmes de gouvernance publique que connaissent de nombreux pays africains sont particulièrement préjudiciables au développement de l'entreprise privée, car les règles du jeu économique sont brisées, les entrepreneurs ayant besoin de règles transparentes et cohérentes s'ils veulent réaliser des investissements à long terme et donc se développer. L'excès de réglementations et de procédures à suivre rend très difficile le développement de l'entreprise elle-même et de ses initiatives d'investissement. Le classement Doing Business de la Banque mondiale en est un bon exemple : les coûts des procédures administratives pour créer une société, obtenir un permis de construire, transférer une propriété ou exécuter un contrat sont beaucoup plus élevés en Afrique subsaharienne que dans les autres régions du mondev. Le cadre réglementaire doit également être impartial et s'appliquer à tous de la même manière afin de garantir un environnement sain pour les faillites (combien de régimes ont privilégié un certain environnement commercial proche du dirigeant du jour et de son clan familial) ! Mais ce ne sont pas seulement les politiciens qui apparaissent comme responsables, mais aussi certaines entreprises privées qui cherchent à conquérir l'État en influençant la création d'une certaine loi en leur faveur et ainsi obtenir certains privilèges lors de l'obtention de permis, et de meilleurs droits de protection de la propriété, soit par des moyens légaux (lobbying, financement de campagnes électorales), soit illégaux par la corruption des dirigeants et des fonctionnaires. Combien d'entreprises ont été dépeintes dans ce modus operandi ; à long terme, la seule chose qu'elles font est d'endommager leur image internationale et de ne pas être respectées ou prises en compte dans les futurs appels d'offres et marchés publics, en plus d'être condamnées à une amende. D'autre part, dans les endroits où la corruption est répandue, les entreprises qui veulent réussir subissent des coûts supplémentaires en employant des stratégies pour éviter d'être en concurrence sur certains marchés et en empruntant des itinéraires secondaires : par exemple, les entreprises sud-africaines près de Maputo, au Mozambique, préfèrent importer leurs marchandises du port de Durban, en Afrique du Sud, afin d'éviter de devoir payer les fonctionnaires du port au noir, tout en subissant des droits de douane supplémentaires, et de devoir dévier de leur itinéraire en effectuant un trajet beaucoup plus long (plus de 300 km en moyennevi).

Malgré tout ce qui a été dit, la légendaire corruption africaine, archétype de la mauvaise gouvernance, est-elle pour autant un frein à la croissance du sous-continent ? Jean-Michel Severino/Olivier Ray, dans leur livre "Le temps de l'Afrique", affirment qu'il existe sans aucun doute une forme pathologique de corruption prédatrice dans les États rentiers et fragiles. Toutefois, dans les pays à croissance rapide, la petite corruption supplante souvent en douceur les relations économiques, tandis que les systèmes formels de relations et d'échanges sont lents et inefficaces. Cela tend à se produire en période de décollage économique, lorsque les bureaucraties administratives ne sont pas préparées à répondre efficacement aux demandes de la direction et de l'administration. Les mêmes auteurs affirment qu'une croissance économique vigoureuse pourrait être compatible avec un niveau élevé de corruption "bénigne" ou "stable". Comment expliquer alors que des pays à fort taux de corruption comme le Mali, la Tanzanie, le Mozambique ou l'Ouganda n'aient pas empêché ces pays de connaître une croissance considérable sur une longue période de 10 ans ?
Il est vrai que la corruption n'est pas originaire de l'Afrique noire et que les Africains ne sont pas les seuls à y être sensibles ; elle est présente un peu partout et sous diverses formes. Le problème est quand (et c'est le cas dans de nombreux pays africains) elle devient légitime.
La corruption a été le moteur de l'administration et de l'État à tel point que les citoyens en sont progressivement venus à croire qu'elle est inhérente à toute bureaucratie. Nous savons qu'en Afrique noire, tout peut être acheté et vendu, qu'il s'agisse de notes scolaires, de diplômes, d'emplois publics, de faux documents de mariage, de décès et de naissances, etc. Comment pouvons-nous sortir de ce bourbier ?

En général, la qualité des institutions et la prospérité vont de pair. Les pays dotés d'institutions responsables et bien gérées sont mieux à même de fournir des services publics et de créer un environnement propice à la création d'emplois et à la croissance. La confiance entre les citoyens et ceux qui les gouvernent repose sur l'utilisation transparente des ressources publiques. C'est aussi un moyen de mieux cibler les dépenses publiques et de les rendre plus efficaces. S'il existe une formule de développement applicable partout et en toutes circonstances, c'est bien celle-là, qui combine l'amélioration des institutions, l'augmentation des ressources nationales et la mobilisation des citoyens.
En effet, la mauvaise gestion et la corruption chroniques démoralisent les citoyens et sapent leur confiance dans l'État ; la corruption exacerbe la pauvreté, expose les pauvres à toutes les formes d'exploitation et les oblige à payer des pots-de-vin pour obtenir des services essentiels (par exemple, la santé et l'éducation) ; et les citoyens ne peuvent pas s'épanouir s'ils ne sont pas impliqués dans la gestion de leur paysvii.
Références bibliographiques :
1 - World Population Prospects 2019 (departamento de asuntos económicos y sociales de la ONU)
2 - International Trade Centre. https://www.intracen.org/ El Centro de Comercio Internacional (ITC) es la única agencia de desarrollo que está totalmente dedicada a apoyar la internacionalización de las pequeñas y medianas empresas (PYMES).
i - Las entidades de crédito perciben a las pymes africanas como estructuras de riesgo: poco resistentes y frágiles en términos de actividad, solvencia y gestión.
ii - http://www.edinburgh-group.org/ Edinburgh Group es una coalición de 16 organismos contables de todo el mundo, que representan a más de 900.000 contadores profesionales en países de África, América del Norte, Asia, Australia, Europa y América Latina. Formado en 2000, la misión del Grupo de Edimburgo es asegurar que el desarrollo de la profesión contable internacional satisfaga las necesidades de sus diversas partes interesadas, reflejando el progreso en la economía global y la sociedad en general.
iii - https://www.enterprisesurveys.org/en/enterprisesurveys. https://www.enterprisesurveys.org/content/dam/enterprisesurveys/documents/research-1/Casting-a-Shadow-Productivity-of-Formal-Firms-and-Informality.pdf
iv - El Banco Mundial a la hora se repartir subvenciones entre los PMA (países menos avanzados) se sirve del CPA (Country Policy and Institutional Assessment) en donde existe una horquilla de evaluación de beneficiarios clasificados según la calidad de sus políticas. Cuanto mejor este gobernando un país, más derecho tendrá a beneficiarse de un sobre de ayuda importante, en virtud del principio que la ayuda siempre será más eficaz en un país bien gobernado. WGI (Worldwide Governance indicators) What is Governance? Governance consists of the traditions and institutions by which authority in a country is exercised. This includes the process by which governments are selected, monitored and replaced; the capacity of the government to effectively formulate and implement sound policies; and the respect of citizens and the state for the institutions that govern economic and social interactions among them. https://info.worldbank.org/governance/wgi/Home/Documents#wgiDataCrossCtry
v - Fuente: www.doingbusiness.com
vi - La economía africana 2021 AFD.
vii - (La bonne gouvernance est à la base de la lutte contre la pauvreté et la corruption : Sri Mulyani Indrawati. Banco Mundial