La commission des affaires étrangères du Parlement européen suit de près la campagne de harcèlement contre les voix critiques à l'égard du gouvernement Tebboune

L'érosion des droits civils en Algérie inquiète Bruxelles

photo_camera AFP/LUDOVIC MARIN - Le Président de l'Algérie, Abdelmadjid Temps Nécessaire

L'Algérie compte 330 prisonniers politiques dans ses prisons, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), une association qui accompagne les familles des personnes arrêtées dans le cadre de manifestations antigouvernementales dans leurs procédures judiciaires respectives. Human Rights Watch a dénombré en janvier 250 personnes emprisonnées "pour leur participation à des manifestations pacifiques, leur activisme ou leur expression". Un tiers d'entre elles sont toujours en détention provisoire quelques mois plus tard. Le dernier rapport de l'organisation de défense des droits de l'homme sur la dérive répressive du régime algérien souligne la restriction des droits et libertés dans le pays du Maghreb. 

"Des militants, des journalistes et des avocats ont été poursuivis pour leur activisme pacifique, leurs opinions ou leurs professions", note HRW. "Ils ont également entrepris des actions en justice pour dissoudre ou restreindre les activités des organisations de la société civile et des partis politiques d'opposition". A cette fin, dénonce l'organisation, les autorités ont utilisé une batterie de charges pénales liées à des infractions terroristes. Le régime algérien a notamment invoqué l'article 87 bis du code pénal, réformé dans ce sens en 2020, qui comprend une série d'infractions ouvertes à l'interprétation qui étend la censure à la poursuite de la "sécurité nationale".

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"Le cadre législatif est de plus en plus restrictif", note Reporters sans frontières (RSF). "Si l'article 54 de la Constitution garantit la liberté de la presse, il réglemente également la diffusion des informations et des opinions". Ce dispositif juridique, qui s'ajoute au code pénal, affecte tous les types de plateformes de la société civile. En particulier celles qui sont perçues comme faisant partie de l'opposition. C'est ce qu'a expliqué mardi le vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), Saïd Salhi, lors d'une session de la sous-commission des droits de l'homme de la commission des affaires étrangères du Parlement européen. 

Le militant algérien, réfugié à Bruxelles depuis un an, a passé en revue le large éventail de réformes autoritaires introduites par le gouvernement dirigé par Abdelmadjid Tebboune, et a souligné en particulier le statut de "terroriste" que l'Etat attribue à toute personne qui n'est pas d'accord avec les dispositions du gouvernement. "C'est une politique de vengeance contre toutes les organisations de la société civile", a résumé Salhi, qui a profité de l'occasion pour dénoncer la situation de ses collègues en Algérie : "Ils sont tous en prison". 

Le président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme, Faleh Hammoudi, a été arrêté en février 2022. Initialement condamné à trois ans de prison pour "offense" à des organismes publics, diffusion de "fausses nouvelles" portant atteinte à la "sécurité nationale" et gestion d'une association "non enregistrée" - Salhi a expliqué dans son discours comment le ministère de l'intérieur avait ignoré ses demandes de normalisation du statut juridique de l'organisation - Hammoudi a fait appel et a pu éviter la prison. Mais peu ont eu la même chance. "Les autorités ont poursuivi au moins huit membres de la LADDH pour leur activisme ou leur expression, dont quatre - Kaddour Chouicha, Djamila Loukil, Saïd Bouddour et Hassan Bouras - sur la base d'accusations non fondées liées au terrorisme", note HRW.

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Le cas du journaliste indépendant Ihsane El-Kadi se distingue parmi une longue liste de cas. Un article d'opinion publié dans Maghreb Emergent, le journal qu'il a fondé il y a une dizaine d'années, a conduit, selon son entourage, à sa détention irrégulière en décembre dernier aux mains des autorités. Dans ce texte, il spéculait sur un second mandat de l'actuel président, avalisé par le haut commandement de l'armée. Il a depuis été placé en détention provisoire. Le procès d'El-Kadi, comme celui de la grande majorité des détenus, ne bénéficie pas des garanties minimales. 

Le Hirak et les droits de l'homme 

La résurgence de la répression interne en Algérie coïncide avec sa réapparition sur la scène internationale. Réhabilitée en tant qu'acteur valable auprès de l'UE en raison de ses vastes ressources naturelles dans un contexte marqué par le besoin pressant des Vingt-Sept de trouver une source d'énergie alternative au gaz russe, l'Algérie a saisi l'occasion pour renforcer ses relations bilatérales avec Bruxelles et d'autres capitales européennes, Paris et Rome en tête. Il n'en va pas de même avec Madrid, avec qui elle a rompu ses relations en raison de son changement de position en faveur de Rabat dans le conflit du Sahara occidental. 

L'apparente victoire du Hirak (Mouvement), les mobilisations de masse qui ont mis le régime de Bouteflika dans les cordes il y a quatre ans, renforce sa position extérieure. Mais la contestation interne se poursuit malgré les effets de la pandémie de COVID-19 et les tentatives déterminées de museler l'opposition et de faire taire les voix critiques. L'actuel président, Abdelmadjid Tebboune, un fonctionnaire grisonnant qui avait été premier ministre dans l'un des gouvernements de l'ancien président défunt, a d'abord opté pour l'ouverture, mais a rapidement dévié de cette voie, influencé en partie par les indications du chef d'état-major de l'armée, Saïd Chengriha, le véritable homme fort du pays.

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En 2021, deux ans à peine après l'arrivée de Tebboune au palais d'El Mouradia à la suite d'élections boycottées par les partis d'opposition et entachées d'allégations de fraude, cinq rapporteurs spéciaux de l'ONU ont mis en garde le gouvernement algérien contre la nature de ses changements juridiques concernant les infractions terroristes. Selon le groupe, ces changements portaient atteinte aux droits fondamentaux des citoyens algériens. Cependant, un an plus tard, le pays du Maghreb est devenu membre du Conseil des droits de l'homme de l'ONU en dépit de ses antécédents. 

En décembre dernier, le régime a libéré 40 prisonniers d'opinion, appartenant pour la plupart au Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK). Ce geste a été interprété comme un message d'apaisement suite à son entrée au Conseil. Le président du Conseil national des droits de l'homme (CNDH), une institution publique, a qualifié l'adhésion à ce groupe d'"acquis précieux".  Abdelmadjid Zaalani lui-même, qui s'est exprimé lors de la session de mardi au Parlement européen pour discuter des développements en matière de droits de l'homme dans son pays, a défendu la "nouvelle Algérie" et les "nouveaux outils" dont dispose l'État, en faisant référence à la Constitution de 2020 et aux réformes pénales.  

L'organe qu'il dirige, a-t-il assuré, s'efforce d'effectuer "une évaluation continue de la situation des droits de l'homme en Algérie, telle que la situation des détenus dans les différents établissements pénitentiaires et de rééducation, tout en planifiant des visites sur le terrain pour clarifier leur situation". Cependant, les remarques qu'il a faites au Parlement européen cette semaine ont montré qu'il soutenait toutes les mesures restrictives qui font appel à des préoccupations de sécurité nationale.

L'UE en alerte 

Le Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a publié dimanche soir le rapport de sa visite de deux jours en Algérie, qui a servi à lancer son "partenariat renouvelé" avec le pays du Maghreb. A l'ordre du jour, entre autres, la coopération en matière juridique, la crise diplomatique avec l'Espagne, le contrôle des flux migratoires et les échanges énergétiques. La dérive répressive du gouvernement a été reléguée au second plan. Mais le chef de la diplomatie européenne a assuré qu'il avait transmis au président et à son Premier ministre, Aiman Benabderrahmane, les préoccupations de Bruxelles en matière de respect de l'État de droit et des libertés publiques. 

"L'Union européenne attache une grande importance au respect de la liberté d'expression, de la liberté de la presse et de la liberté d'association", a souligné Borrell. Les relations bilatérales incluent la gouvernance, le respect de l'État de droit et la promotion des droits fondamentaux comme "thème prioritaire". Mais la capacité de l'UE à influencer les décisions politiques en Afrique du Nord a été mise à mal. Les besoins énergétiques de l'Europe protègent le gouvernement de Tebboune pour le moment.

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